Source : Le Figaro.fr - 08 juillet 2015
CHRONIQUE D'UN FESTIVAL - 2 - Une seule question fédère le in et le off : quand est-ce qu'il fera moins chaud ? Beaucoup de spectateurs potentiels hésitent à franchir les remparts qui sont comme les parois d'un chaudron où il ne fait pas bon se risquer. Voici pourtant une balade du côté de très bons spectacles qui méritent un voyage.
Dans la cour arrière du Théâtre du Chêne Noir, un des lieux les plus agréables d'Avignon, les artistes que Gérard Gélas a mis à l'affiche, se retrouvent, avant ou après leurs spectacles. Aurore Auteuil qui présente là son excellent Sahar et Jérémy sort de scène.
La veille, la salle était pleine. Hier, mercredi 7 juillet, il y avait moins de monde. Aurore raconte qu'elle tracte elle-même, le matin, à la fraîche. Avec sa petite fille de cinq ans, qui aide sa mère en allant à la rencontre des spectateurs. «Ma maman joue !».
Aurore Auteuil a écrit ce Sahar et Jérémy que nous avons loué lorsque nous l'avons découvert au Petit Hébertot. Un miracle d'écriture délicate qui raconte l'histoire de deux personnages. Un garçon, une fille. Jérémy est garçon de café. Sahar vient de loin, elle a traversé des moments âpres. Elle n'a rien perdu de son énergie, de sa sensibilité.
Sahar et Jérémy est l'histoire d'une jolie rencontre, culturelle, intellectuelle, sentimentale. La beauté de ce moment est que c'est Aurore Auteuil elle-même qui joue les deux personnages et elle le fait avec une grâce, une profondeur, une intelligence qui ravissent. Elle est mise en scène par Ladislas Chollat qui excelle à donner du mouvement, du mystère à ce bref et grand moment de théâtre (Chêne Noir, 19h30, durée 1h15).
Aurore Auteuil raconte à Catherine Schaub, qui reprend, dans ce même théâtre, sa mise en scène de "Ring" (avec Sarah Biasini) de Léonore Confino, que c'est grâce à Elsa Zylberstein qu'elle est là. Elsa répétait, sous la direction de Catherine Schaub, son évocation de Natalie Wood, qu'elle a joué au Petit Théâtre de Paris, la salle Réjane, lorsqu'elle-même y reprenait Sahar et Jérémy. «Elsa m'a donné le téléphone de Gérard Gélas, et voilà !»
Dans la cour cachée sous les grands arbres et éclairées de loupiotes multicolores, Daniel Mesguich donne des notes à ses comédiens du Prince Travesti de Marivaux : il reprend...quarante ans après, le spectacle qui le lança alors qu'il était encore au Conservatoire. Michel Cournot, critique du Monde avait vu le spectacle qui se donnait dans une salle minuscule. Il revint plusieurs soirs de suite.
Il écrivit un papier: «Le soir même, se souvenait récemment Daniel Mesguich, il y avait la queue dans la rue, devant le théâtre !»
Pris par nos devoirs du «in», nous n'avons pas encore vu ce nouveau Prince travesti qui se donne aussi au Chêne Noir. D'ailleurs, Mesguich qui est en train de relire les épreuves d'un nouveau livre, ne sent pas sa mise en scène encore assez mûre. Mais le public est pourtant très content d'applaudir la famille d'artistes qu'est la famille Mesguich : Sarah Mesguich (qui a signé cet hiver une savoureuse adaptation de Zazie dans le métro au Lucernaire), William Mesguich (qui met en scène Noces de sang de Lorca, toujours au Chêne Noir, à 12h30), Sterenn Guirriec, une merveilleuse jeune comédienne que nous avions repérée dès le Conservatoire, une élève de Daniel Mesguich, Grégory Corre, Alexandre Levasseur, Rebecca Stella, Alexis Consolato (18h45, durée 1h30, Grande Salle).
C'est la première fois que l'on peut applaudir à Avignon un travail de la fille de la légende absolue du festival, Gérard Philipe.
Ce soir là, Christophe Alévêque qui présente Ca ira mieux demain, son nouveau spectacle, à l'affiche du Rond-Point à la rentrée, est en relâche (21h00, grande salle). Avant d'entrer en scène, détendus et souriants Tania Garbraski et Charlie Dupont, bavardent avec quelques amis. On les avait applaudis l'an dernier dans Promenade de santé de Nicolas Bedos. Ces comédiens venus de Belgique, jouent cet été Tuyauterie de Philippe Blasband qui signe la mise en scène mais est déjà reparti, pris par ses nombreux travaux d'écriture. Il est l'un des plus doués des scénaristes d'aujourd'hui : Les émotifs anonymes ou encore Une liaison pornographique. Tuyauterie est un divertissement cocasse, sentimental et torride à la fois. Une femme récemment divorcée et ...un plombier joli garçon. Ici, tout le monde s'amuse. À commencer par les deux comédiens, elle sensuelle à souhait, lui, qui essaie de garder son sang froid...Ils sont un couple à la ville et leur complicité fait beaucoup dans cette fantaisie bon enfant (à 21h, durée 1h00, salle Coltrane).
Un autre spectacle que nous avons déjà vu à Paris se donne aussi au Chêne Noir qui met à l'affiche cet été pas moins de quatorze propositions. Ce spectacle, ce sont Les Liaisons dangereuses d'après Choderlos de Laclos, dans la célèbre version de Christopher Hampton. Une version adaptée par Anne-Marie Philipe pour ses élèves de l'Atelier des Déchargeurs, à Paris.
C'est la première fois que l'on peut applaudir à Avignon un travail de la fille de la légende absolue du festival, Gérard Philipe. Anne-Marie Philipe qui est une comédienne fine et sensible et qui s'est fait connaître par ses merveilleux livres consacrés à l'histoire d'un très beau cheval, est une remarquable pédagogue. Elle n'avait que trois ans lorsque son père est mort. Elle ne l'a évidemment jamais vu sur scène. Mais des photos en témoignent: elle et son frère Olivier venaient au festival, avec leur mère, Anne.
Elle a adapté l'adaptation de Jean-Claude Brisville. Elle en fait une sorte de «précipité» dramatique extrêmement puissant, fascinant. Les jeunes comédiens qu'elle dirige sont déliés et profonds, disent la langue avec grâce et se révèlent d'une maturité forte. Citons-les car vous les retrouverez souvent. Leur talent est sûr et certains ont déjà du métier: Anatole de Bodinat, Amandine Leprince, Camille Lockhart, Gwendoline Mousset, Mathilde Ripley, Anne Rostain, Fabien Wolfrom. C'est l'un des excellents spectacles du «off» car il allie la jeunesse et l'éclat. Attention, il se donne à différents horaires, renseignez-vous et si vous êtes à Ramatuelle ces temps-ci, sachez qu'il y aura une représentation le 27 juillet. Reste à voir encore au moins un spectacle, au Chêne Noir. Nous le ferons dans quelques jours. C'est celui qui est mis en scène par le patron de ce fertile théâtre permanent d'Avignon, Gérard Gélas. Un thriller psychologique de Luciano Nattino, Un cadeau hors du temps avec une superbe distribution : Claire Borotra et Jacques Frantz (14h45, grande salle, durée 1h20).
Signalons enfin Marie-Christine Barrault dans "Les Yeux ouverts" de Marguerite Yourcenar, une adaptation de Matthieu Galey. La comédienne rayonnante joue avec Eric Pierrot et Paul Spera, dans une mise en scène de Ludovic Kerfendal (17h30, durée : 1h20).
A suivre !
Le Chêne Noir - 8 bis rue Sainte-Catherine - 84000 Avignon
Tél : 04 90 82 96 13
Commentaires