Source : Les Trois coups - 30 septembre 2014
Pour sa dernière création, Christophe Lidon s’attaque à «La tempête», ultime opus de William Shakespeare. Son parti pris résolument moderne embarque le public pour une croisière qui tient ses promesses : féerie, complots, coup de foudre sont au rendez-vous jusqu’au «happy end». Une œuvre majeure du répertoire anglais interprétée par de talentueux comédiens.
Bienvenue moussaillons à bord de la salle Pierre‑Aimé‑Touchard du Théâtre d’Orléans ! La durée du voyage est de une heure quarante-huit minutes ! Une voix anglaise tout droit sortie d’un haut-parleur s’élève. Parmi le public, la troupe des marins «débarque», paniquée. Ils interpellent leur capitaine, vêtu d’une marinière à la Jean‑Paul Gaultier. Son look est proche de celui des Village People. Le ton est donné : ce Shakespeare-là promet quelques surprises derrière le rideau rouge encore fermé.
Tout d’abord, l’intrigue : Prospero (Alain Pralon), duc de Milan, est victime d’une conspiration orchestrée par son frère Antonio (Jean‑Marie Lardy). Il se retrouve avec sa fille Miranda (Sarah Biasini) prisonnier sur une île déserte où il vit entouré de deux «esclaves» : Ariel (Maxime d’Aboville), l’esprit des airs, et Caliban (Dominique Pinon), descendant maléfique d’une sorcière. Une nuit, Prospero le magicien déclenche une tempête qui fait échouer le vaisseau de ses ennemis : Alonso (Joël Demarty), roi de Naples, et son fils Ferdinand (Adrien Melin), Sébastien (Jacques Fontanel), Antonio, l’usurpateur du duché milanais, et deux serviteurs, Trinculo (Denis Berner) et Stephano (Joël Demarty encore). Se déroule alors sous nos yeux une course contre le temps : vingt-quatre heures pour tout résoudre et retrouver sa place légitime.
Dernière œuvre dramatique de Shakespeare écrite en 1611-1612 alors qu’il s’est retiré à Stratford, la Tempête est un véritable testament. Bien différente des autres tragi-comédies, elle se rapproche des tragédies françaises du xviie siècle, par le respect de la règle des trois unités notamment. Témoin d’une époque, celle de la Renaissance, l’auteur y aborde toutes les grandes questions humanistes (le discours de Prospero sur Caliban le «sauvage» est de ce point de vue sans équivoque) et fait de Prospero une métaphore du dramaturge.
Qu’on imagine difficile la tâche qui consiste à faire du neuf avec du vieux ! Pourtant Christophe Lidon tire son épingle du jeu. Les choix scénographiques ne sont certes pas originaux – le dépouillement, on en conviendra, a plutôt le vent en poupe – mais ils opèrent. Une estrade ronde, d’un blanc immaculé, représente l’île déserte et son climat hostile. Elle flotte sur un espace scénique-océan. Une lune pleine veille sur les personnages. Enfin, le mur de la grotte de Prospero se mue en falaise par le truchement d’un mécanisme de rail placé autour de l’estrade. Bref, ces petits riens suffisent à rendre l’atmosphère magique. Les effets de lumière de Marie‑Hélène Pinon, quant à eux, sont superbes : les éclairs se déchaînent, figurant ainsi la colère d’un Prospero capable de maîtriser les éléments. Plus tard, une lueur jaune, sorte de feu follet ou d’aurore boréale, indique au public l’imminence de l’intervention d’Ariel, cet être cabotin à la tenue « glitter ». Au fil du spectacle, on se surprend à chercher les références cinématographiques convoquées par la scénographie. Alors, lorsque deux «monstres» aux doigts crochus et au visage difforme entrent en scène, on comprend soudainement que l’ombre de George Lucas plane sur le plateau : les costumes, les vidéos suggérant le voyage dans l’espace, le bâton de Prospero sorte d’ersatz de sabre laser, tout rappelle l’univers de Star Wars de manière subtile et efficace. La mise en scène de Christophe Lidon nous transporte dans un autre espace-temps où règne un exotisme tour à tour archaïque et futuriste.
Des comédiens «force 10»
Le décor lunaire favorise la mise en valeur du jeu des comédiens. La distribution est d’une grande qualité. Le couple Miranda (Sarah Biasini)-Ferdinand (Adrien Melin) agit à merveille. La réaction de l’une et de l’autre à l’instant «magique» (au sens propre et figuré ici) de leur rencontre est émouvante. Les corps s’entrelacent, les regards pétillent : oui, l’amour est bien là. Second duo, tempétueux cette fois : celui des serviteurs de Prospero. Maxime d’Aboville (Ariel) est éblouissant. Son physique androgyne lui permet de virevolter, de tournoyer, de traverser le plateau comme le ferait un petit fantôme de cartoon. D’une énergie folle, ce jeune comédien rayonne. C’est lui la révélation de ce spectacle ! Dominique Pinon est aussi fort juste dans le rôle du monstrueux Caliban. Sa voix rauque, ses soubresauts, son costume à écailles noires, son manteau en peau de bête, ne sont pas sans évoquer Gollum, la créature répugnante de J.R.R. Tolkien. Et lorsqu’il s’associe aux truculents Joël Demarty et Denis Berner (Stephano et Trinculo), le comique est au rendez-vous. Bien sûr, Alain Pralon participe de cette fougue déployée tout au long du spectacle. Son personnage passe ainsi de la douceur à la fureur avec aisance. Dommage seulement qu’il faille tendre l’oreille (même quand on est placé au quatrième rang…) pour entendre son texte… Hormis ce bémol, il aisé de se laisser voguer et de profiter du voyage. ¶
Aurélie Plaut
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