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La Croix.com - 14 août 2013
Lieux mythiques du cinéma : Le village de Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne, a accueilli le tournage du film de Robert Enrico, au printemps 1975. Le souvenir du premier «meilleur film» de l’histoire des Césars y est encore vivace
«C’était un grand moment !» À Bruniquel, un village de 610 habitants du Tarn-et-Garonne à trente kilomètres de Montauban, le tournage du Vieux Fusil, en 1975, reste un temps fort de l’histoire locale. Les figurants qui ont participé à cette aventure ne sont plus nombreux, mais le film continue à drainer toute l’année des touristes jusqu’à la cité médiévale, classée parmi les plus beaux villages de France. «À chaque fois qu’il repasse à la télévision, ce qui arrive plusieurs fois par an, il y a un afflux de visiteurs», témoigne le maire, Michel Montet.
Le film de Robert Enrico raconte l’histoire d’un paisible chirurgien de Montauban, Julien Dandieu (Philippe Noiret), qui, aux dernières heures de l’Occupation en 1944, venge le meurtre de sa femme Clara (Romy Schneider) et de sa fille dans un village décimé par une division allemande. Cette sombre quête, inspirée du massacre d’Oradour-sur-Glane, est éclairée par l’ardente interprétation des deux acteurs principaux.
A l’office de tourisme, on peut presque situer chaque scène de mémoire.
Florence Brutto, coiffeuse au village depuis un an, a regardé le film à son arrivée comme un rituel d’intégration. «Je cherche une affiche du film avec Romy Schneider. Beaucoup de gens ont des photos du tournage chez eux», témoigne la jeune femme. À l’office du tourisme, Philippe Noiret et sa partenaire s’enlacent dans un cadre au-dessus des prospectus, et Sandie Vonck, derrière le comptoir, peut presque situer chaque scène de mémoire.
L’ancienne conciergerie accueillait la scène où Julien Dandieu tue le dernier de ses ennemis. La cour du château a été le cadre de la fête du village, mais aussi de l’assassinat de la mère et de la fille, dans la terrible «scène du lance-flammes». Les Allemands du film se distraient dans la salle à manger du vieux château, et c’est d’un de ses balcons qu’ils tentent de s’échapper à l’aide d’une corde.
«Le puits le plus profond qui soit» construit pour le tournage.
Des aménagements avaient été nécessaires, à commencer par la construction d’un pont-levis aujourd’hui détruit que les touristes cherchent en vain. Le puits dans lequel le personnage principal abat sa première victime est en revanche toujours là. «C’est le puits le plus profond qui soit, puisqu’il commence à Bruniquel et se finit au château de Bonaguil, où ont été tournées toutes les scènes souterraines du film, à 75 km d’ici», s’amuse Jacky Poussou, peintre et vitrailliste au village.
Les astuces du montage –entretenant l’illusion que Bruniquel, Bonaguil et Penne, deux autres communes du Quercy, n’en forment qu’une– ont fasciné les habitants et créé une durable complicité entre le film et le village. Yvan Bianchi, directeur de l’office du tourisme, se souvient de la première fois qu’il a vu le film dans un cinéma de Montauban : «Dans la salle, tout le monde pleurait, et moi, j’avais envie de rire ! Je connaissais les secrets de fabrication.»
Denis Montet, agriculteur bruniquelais, avait prêté aux accessoiristes une charrette et des bêtes. La vache errante, qui annonce au début du film le massacre du village, lui appartenait. Recruté comme figurant, il se souvient surtout avoir attendu : «Dès qu’un petit nuage passait, il fallait tout arrêter. Ma scène n’a pas été retenue, alors que j’ai dû venir six fois, parfois pendant une demi-journée !» En dédommagement, il touchait 50 francs par jour. «Nous ne savions pas comment se tournait un film. On ne se rendait pas compte de l’importance de ce qui se passait», regrette l’agriculteur.
La scène de l’incendie a réellement brûlé la façade du château
Pourtant, peu de choses ont échappé aux habitants, des disputes qui ont pu ponctuer le tournage, amenant les acteurs à se retirer dans leur caravane, aux repas à l’auberge «L’Étape du château» auxquels étaient conviés certains figurants, en passant par de menus détails, comme la technique de Philippe Noiret pour simuler un vomissement («le gobage d’œuf !»).
Yvan Bianchi s’étonne encore de «l’usine» déversée chaque jour par les camions, comme ces dizaines de projecteurs dardant leurs rayons sur la petite fenêtre de la conciergerie pour simuler l’éclat du jour. L’incendie final du château avait débordé les pompiers lors de la prise de vues, brûlant véritablement la façade du bâtiment classé et encore habité par Mme de Bellefond, qui avait engagé un procès.
Les apparitions de Romy Schneider constituent un autre souvenir brûlant : «Je revois ses longues jambes fines sortir de la Mercedes. C’était une star, une grande dame. On ne pouvait pas l’approcher comme ça», se souvient Jacky Poussou. Responsable de la Maison Payrol, le musée du village, il aimerait rendre hommage à l’actrice à travers une autre exposition que celle, permanente et consacrée au film, qui occupe déjà l’une des pièces du château.
Les acteurs ont bouleversé les habitants
À l’époque, l’actrice frôlait le surmenage. «Elle jouait des scènes très dures. J’ai assisté à celle du viol. À la fin, elle était véritablement bouleversée», se souvient l’artiste. Seule Mme Montastruc, recrutée pour la scène de la fête du cochon, a eu le droit jalousé d’approcher de près l’actrice et même de recevoir un baiser.
Plusieurs habitants évoquent aussi avec émotion la présence du fils de Romy Schneider, David Meyen, alors âgé de 9 ans, mort six ans plus tard. Mais de tous, c’est bien Philippe Noiret, cet homme «simple et ouvert», qui a su le mieux se faire aimer des Bruniquelais. Quant aux acteurs incarnant les Allemands, «ils avaient l’air tellement réels qu’un homme les a accueillis son fusil à la main !» se souvient Denis Montet avec un rire.
Parmi ces acteurs se trouvaient des militaires du 17e RGP de Montauban. Le lance-flammes du film faisait partie de leur matériel. Comme beaucoup d’autres objets, il n’a pas été conservé, mais la mémoire du tournage ne risque pas de s’éteindre : au balcon du vieux château, le jeune lieutenant Antoine Casasole a préparé une descente en rappel le long de la falaise, en référence à une scène du "Vieux Fusil" : «L’un de mes films préférés !»