Source : Il était une fois le cinéma
Entre la vie et la mort, Michel Piccoli se souvient. Quelle connerie la vie !
Article de Fabien Alloin
"Les Choses de la vie" (1969) semble commencer pas la fin. Pierre (Michel Piccoli) est victime d'un accident de voiture qu’on verra se construire par flash durant tout le film : éjecté du véhicule, dans le coma, il revoit certains moments de son passé. Pendant que les badauds s'attroupent autour de lui, il repense aux deux femmes de sa vie : son ex, Catherine (Léa Massari), et Hélène (Romy Schneider), dont il se sent de moins en moins proche depuis quelques semaines. Pour autant, le fil du récit ne restera pas celui du flashback et la dernière demi-heure sera celle d’un retour au présent, se concentrant sur ce qui se passe après l’accident. Les deux parties sont bien identifiables et quand la première a l'allure d'une classique histoire de couple, la seconde est celle du monologue en voix off d'un homme vivant les derniers instants de sa vie. Claude Sautet adapte le roman éponyme de Paul Guimard sorti deux ans plus tôt et met en images un cliché persistant : avant de mourir, on voit toute notre vie défiler devant nous.
Après les quatre-vingt dix minutes des "Choses de la vie", on peut pertinemment se questionner sur le sujet même du film que l’on vient de voir. Quelle histoire Claude Sautet a-t-il voulu nous raconter ? Quel film a-t-il voulu mettre en scène ? Les personnages joués par Michel Piccoli, Romy Schneider et Léa Massari laissent apparaître la forme d’un trio amoureux classique avec sa mélancolie et ses jalousies mais ce qui intéresse le cinéaste semble ailleurs. Illustration du prétexte de départ - un homme se meurt et le film devant nous est le souvenir de sa vie -, la brillante scène d’accident qui ouvre le film et le construit par flashback est plus encore qu’un gadget. Tout le récit s’articule autour d’elle et si dix jours furent nécessaires pour réaliser cette seule séquence, c’est que le sort des Choses de la vie semblait en dépendre. Rapidement, on comprend que cette scène que l’on nous fera vivre encore et encore est ce qui rend l’ensemble si bancal. Tout à son honneur, ne voulant pas faire reposer Les Choses de la vie uniquement sur ses acteurs, Claude Sautet cherche le mouvement et les plus vivantes images possibles autour desquelles articuler son récit. Problème, devant rentabiliser l’impressionnant accident qu’il a tourné, le cinéaste en égraine des fragments durant tout son film, allant même s’en servir comme plans de coupe de luxe entre les scènes. Ce montage très lourd et systématique, le film ne s’en remettra jamais vraiment.
Les scènes les plus réussies, intimistes - le réveil de Michel Piccoli et Romy Schneider dans la très belle ouverture -, ne peuvent jamais vivre plus longtemps que ne dure leur moment à l'écran. Une fois terminées, il n’en reste aucune trace. L’épate visuelle de l’accident vers lequel on nous ramène toujours fait qu’elles sont très rapidement oubliées, invitées à préparer le dernier et laborieux tiers du film : la voix off de Michel Piccoli mourant appelant à lui Romy Schneider. Si tout ce qui se déroule après l’accident de voiture semble alors étrangement détaché du film, c’est que cette dernière partie paye les conséquences des choix qui ont été faits jusqu’ici. Quand Claude Sautet, débarrassé de ses plans chocs, commence à se rapprocher de ses personnages, il est déjà trop tard. N’ayant jamais pu nous accrocher à eux, n’ayant pas eu assez de temps, difficile de se sentir concerné par leur fin tragique. On accepte alors cette dernière sans sourciller comme on regarde passer de mains en mains dans la dernière scène une lettre que le personnage de Romy Schneider ne doit absolument pas lire. Aucun suspense à l’écran car fataliste et déprimé, il y a longtemps que tout le monde s’est résigné face à ces «choses de la vie». Comme les cons le disent à la perte d’un être aimé : c’était le destin ; c’est la vie.
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