Source : Nouvel Observateur - 28 avril 2012
Trente ans ont passé depuis sa mort, le 29 mai 1982. Trois livres pour se souvenir.
Longtemps après avoir disparu, elle descend d'un taxi et observe à travers la grille du jardin les deux hommes, César et David, qu'elle a aimés, qui l'ont aimée, qui se la sont disputée, et qui n'ont pas changé. Ils sont attablés là-bas, dans la cuisine, et ils rient derrière la vitre, d'un rire gamin de célibataires. Elle est tellement attendrie par eux qu'elle reste figée sur le pas du portail. Elle hésite à l'ouvrir, par crainte de déranger une complicité dont, en s'éclipsant, elle fut autrefois l'instrument. On a reconnu le dernier plan de «César et Rosalie», ce film de Claude Sautet que l'on connaît par coeur, avec l'image arrêtée de Romy Schneider, timide et pâle comme un soleil d'après l'orage.
Trente ans ont passé depuis sa mort, et on croirait qu'elle est toujours là, hésitant à se rappeler à notre souvenir, immobile derrière la grille du jardin - c'est sur les pointes d'une grille que, un jour de l'été 1981, son fils David s'empala, il avait 14 ans, elle n'y survécut pas. Et nous, à la manière d'Yves Montand et de Sami Frey, on mange des fruits de mer, on rigole, on bavasse, on feint l'insouciance, mais on n'arrive pas à l'oublier, on la guette. Car elle était unique. Jamais, sur l'écran, le bonheur de jouer n'avait si bien éloigné la douleur de vivre. Jamais la grâce n'avait été si poignante, la joie si mélancolique et la beauté si colérique. Dans le registre qui était le sien : le chagrin et la pitié, nulle ne l'a remplacée. Dans l'art consommé de la dissimulation et du «never explain, never complain», nulle ne l'a égalée. Ce qu'elle avait souffert, elle le transformait en aplomb et en or. Le cinéma fut son ordalie.
La brève existence - quarante-quatre ans - de l'Autrichienne Rosemarie Albach fut en effet un chemin de croix, bordé d'accidents, de suicides, de séparations, de dépressions, de bouteilles d'alcool, de boîtes de calmants, de regrets et de remords. La «Passante du Sans-Souci» détesta la Sissi en crinoline qu'elle avait incarnée. La Clara du «Vieux Fusil», brûlée vive par les nazis, ne cessa jamais de demander des comptes à son pays, à son père national-socialiste et à sa mère qui aurait eu une liaison avec Hitler. Toute sa vie, elle porta, autour du cou, une étincelante étoile de David. Et, sur ses épaules, le poids obscur du monde. Les plateaux furent son seul refuge, où elle mettait ses angoisses en vacances, voulait croire au bonheur dans les bras d'Alain Delon et qu'elle vieillirait devant la caméra de Claude Sautet. Plusieurs livres paraissent pour l'anniversaire de sa disparition, le 29 mai 1982. Ils restituent la légende lumineuse et sa face noire, les instants de gloire et les cicatrices intérieures. En les feuilletant, on a l'impression de la voir soulever sa voilette pour sourire à Philippe Noiret. Ô, ce sourire…
A LIRE
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«Romy», par Jean-Pierre Lavoignat, avec un entretien accordé par Sarah Biasini et une exceptionnelle galerie de photos (Flammarion, 39, 90 euros).
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«Romy Schneider», d'Henry-Jean Servat (Hors Collection, 13, 90 euros).
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«Romy au fil de la vie», la biographie référence de David Lelait-Helo, Petite Bibliothèque Payot (8, 15 euros).
Jérôme Garcin
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