Source : Le Figaro - 05 avril 2012
Le réalisateur de "Garde à vue" disparaît à l'âge de 70 ans. Il venait de tourner une adaptation de "Thérèse Desqueyroux".
Claude Miller nous a quittés, ce jeudi matin d'avril, emporté par un cancer contre lequel il a lutté jusqu'au bout avec l'arme vitale qu'il connaissait le mieux : la caméra. À peine son film "Voyez comme ils dansent" était-il sorti, en juillet dernier, qu'il partait dans le Bordelais tourner "Thérèse Desqueyroux", avec Audrey Tautou dans le rôle-titre.
Cet enfant de la guerre et de la banlieue, né en 1942, grandit à Montreuil, fils unique ignorant qu'il a perdu une petite sœur, Annie. «Mes parents m'ont très longtemps caché son existence, a-t-il confié beaucoup plus tard dans un livre d'entretiens, Serrer sa chance. En dépit de quoi, j'ai grandi avec cette présence fantôme. Je la sentais là, quelque part. Ma femme dit que j'ai toujours la nostalgie de cette sœur perdue.»
Son père, juif laïque et lecteur assidu de L'Humanité, refusa de porter l'étoile jaune. «Sa détermination nous a sauvé la vie», disait le réalisateur, alors qu'une partie de sa famille fut déportée. Son enfance pauvre est vite illuminée par la magie du cinéma, qui le conduira à l'Idhec (Institut des hautes études cinématographiques) dans les années 1960. Il devient assistant de Carné, de Bresson ("Au hasard Balthazar"), de Godard ("Week-end"), et directeur de production de Truffaut, dont il est incontestablement proche par la sensibilité et le talent romanesque.
En 1976, il signe son premier film, "La Meilleure Façon de marcher", sur les rapports troubles de deux moniteurs de colonie de vacances, l'un viril et intolérant (Patrick Dewaere), l'autre efféminé (Patrick Bouchitey). Débuts salués par la critique et bientôt suivis par une œuvre au romantisme sombre, "Dites-lui que je l'aime" (1977), d'après un roman de Patricia Highsmith. Gérard Depardieu interprète avec toute sa force poétique un amoureux obsessionnel dévoré par sa passion sans espoir.
Dans les années 1980, Miller va atteindre une grande popularité avec deux beaux succès publics, qui ne se sont jamais démentis, "Garde à vue" et "Mortelle randonnée".
Le premier est un huis clos qui met face à face, un soir de réveillon, un commissaire de police (Lino Ventura) et le suspect qu'il a appréhendé, un respectable notaire auquel Michel Serrault apporte sa présence énigmatique et ironique. «C'est l'un des acteurs les plus ambigus que je connaisse», observait Miller, qui fera de nouveau appel à lui pour devenir le détective privé obsédé par sa fille inconnue dans "Mortelle randonnée". Cette fois, on traverse sans cesse de nouveaux paysages, à la suite de la fatale Isabelle Adjani, meurtrière que le détective identifie à sa fille et poursuit sans se résoudre à l'arrêter. Si "Garde à vue" est un policier classique dans la ligne de Quai des orfèvres, "Mortelle randonnée", tiré d'un polar de Marc Behm, est une variation névrotique et onirique sur le meurtre et la filature, autour de deux personnages perdus dans leurs obsessions et leurs illusions.
Cinéaste de l'intime, Miller s'intéresse au secret qui gît sous le mouvement des passions et des pulsions. «Je ne me vois pas tourner une charge de cavaliers. La forme symphonique n'est pas mon fait. Ce qui me passionne dans la démarche cinématographique, c'est de m'attacher au plus près au jeu des apparences, gestes, regards, comportements et d'essayer de faire deviner l'intérieur des êtres, leur jardin secret, alors qu'on ne voit d'eux que l'extérieur.»
Il filme avec prédilection les enfants et les adolescents: Charlotte Gainsbourg fait ses débuts avec lui dans "L'Effrontée" et "La Petite Voleuse", sur un scénario de Truffaut ; Romane Bohringer sera "L'Accompagnatrice" ; suivront "La Classe de neige", prix du jury à Cannes, "La Petite Lili", "Je suis content que ma mère soit vivante", co-réalisé avec son fils Nathan.
Souvent, aussi, il part d'œuvres littéraires (Marc Behm pour "Mortelle randonnée", Nina Berberova pour "L'Accompagnatrice", Emmanuel Carrère pour "La Classe de neige", "La Mouette" de Tchekhov pour "La Petite Lili", Philippe Grimbert pour "Un secret", Roy Parvin pour Voyez comme ils dansent. Cet anxieux trouvait dans le texte un appui précieux, mais ses adaptations sont toujours très personnelles, autant par les aspects qu'il choisit que par le style.
Si Claude Miller n'a pas traité dans ses films de sujets directement politiques, n'étant pas, disait-il, un homme de théories et d'explications globalisantes, il s'est toujours engagé dans la politique du cinéma en défendant la diversité culturelle et une économie de la production où l'originalité des auteurs ne soit pas sacrifiée à la rentabilité financière. Sa réflexion et ses positions sur le métier étaient parfaitement cohérentes avec son souci de comprendre et de respecter la place de chacun. Il y avait quelque chose de «renoirien» dans l'humanité bienveillante de Miller, qui détestait la violence et admettait que «chacun a ses raisons». Plutôt que de s'insurger contre l'ambiguïté humaine, il a choisi de la montrer, avec une sensibilité chaleureuse et indulgente.
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