Source : L'express.fr - 04 novembre 2011
Il y eut Morgan, Signoret, Girardot. Et puis il y eut Romy. Resplendissante, émouvante. Excessive et sincère, Romy Schneider demeure le plus beau cadeau fait au cinéma français. Une exposition lui est consacrée du 4 novembre 2011 au 22 février 2012 en région parisienne.
A Berchtesgaden, vert paradis alpin, Rosemarie Albach-Retty observe le nid d'aigle voisin. Issue d'une lignée d'artistes, la fillette voit le jour à Vienne, en septembre 1938, mais passe, dans la quiétude d'un chalet bavarois, proche du Q.G. d'Hitler, les premières années de sa vie. Plus tard, elle comprendra et n'en finira pas de payer la faute de ses parents qui avaient accepté le nazisme en fermant les yeux sur ses atrocités. Mais, à 4 ans, l'enfant aux boucles dorées préfère s'interroger sur les absences répétées de Wolf Albach-Retty, comédien en vogue qui vient de les abandonner, elle, son frère Wolfi et leur mère Magda Schneider, pour une de ses partenaires à la UFA.
Première blessure au coeur avant de cultiver, jeune fille en uniforme, la mélancolie à l'internat catholique de Goldenstein. "Romy était une enfant solitaire, souvent d'humeur inégale, en désaccord avec elle-même, se souviendra soeur Augustina, professeur au pensionnat. Magda, sa mère, tournait sans relâche. Elle n'est venue ici que deux ou trois fois en quatre ans." Avant d'offrir à sa fille sa première tentation. Romy n'a pas 15 ans lorsqu'elle passe un bout d'essai. L'expérience des "Lilas blancs", au côté de sa mère, a des senteurs de vacances. L'adolescente la prend comme un jeu, Magda comme une assurance-vie sur les incertitudes de sa carrière. Épaulée par son second mari, "Daddy" Blatzheim, homme d'affaires, elle couve sa progéniture avant de l'étouffer. Romy, elle, accepte, pleine de bonne volonté, les rôles similaires qui s'enchaînent. De "Feu d'artifice" aux "Jeunes années d'une reine", le carnet de bal aseptisé de la débutante lui fait perdre ses illusions.
Sissi envoie tout valser
"Le destin d'Élisabeth d'Autriche sera le tien", lui avait un jour prédit une voyante. Romantique, Romy Schneider n'avait retenu de la souveraine meurtrie que la face radieuse. La proposition que lui fait le réalisateur Ernst Marischka d'incarner "Sissi" inquiète toutefois la jeune femme. Doutant de ses aptitudes à donner vie au mythe, elle est consciente de la responsabilité qui lui échoit. Archétype d'un art pompier confinant au sublime, "Sissi" propulse Romy Schneider au rang d'ambassadrice officieuse d'Autriche. Les deux opus suivants la consacrent "petite fiancée de l'Europe". Pourtant, en dépit des pressions de Magda et de Blatzheim, décidés à exploiter jusqu'au bout le filon, Romy craque. Elle ne fera pas un quatrième Sissi. La crème fouettée a tourné et lui donne la nausée.
Prenant son destin en main, elle rompt avec Horst Buchholz, son premier amour, et s'exile à Paris avec Magda. Berlin et Vienne hurlent à la trahison. "J'étais propriété nationale", maugréait-elle. Déjà rebelle, Romy n'entend plus se laisser dicter sa conduite et ressemble de plus en plus, à mesure qu'elle s'en éloigne, à l'impératrice honnie. Un dernier tour de manège au Prater ne la rassure pas. "Je voulais me débarrasser à jamais des crinolines et qu'est-ce que je tourne ? "Christine" ! Un remake bidon du Liebeleï, de Max Ophüls, dans lequel s'illustra ma mère. J'étais dans une déprime totale..." Romy doit apprendre phonétiquement le français avant de choisir, sur diapo, son partenaire. Parce qu'il la fascine, jeune loup ne courbant pas l'échine devant son éclat de princesse gâtée, Alain Delon devient l'objet d'une folle passion. Au volant de sa MG, il lui fait découvrir Paris, la nuit, Saint-Germain-des-Prés, la liberté. Ils s'installent, ensemble, quai Malaquais. Défient Magda et la presse allemande. Finissent par se fiancer. Mais alors qu'Alain prend son envol avec Plein soleil et Rocco et ses frères, Romy, en Katia froufroutante, désespère. "J'ai fini par m'arrêter puisqu'on ne me proposait que des rôles de poupée."
Elle accepte alors, mi-jalouse mi-inquiète, de rencontrer, à Rome, le Pygmalion de Delon : Visconti fait sa conquête, devient son maître, la pousse à monter sur les planches avec Alain dans "Dommage qu'elle soit une putain". Elle ne parle toujours pas le français et ne connaît du théâtre que des histoires de famille. "Il m'a dit : "Je crois, Mademoiselle, que vous pouvez le faire." Luchino est le premier metteur en scène qui m'ait fait confiance. Je ne l'oublierai jamais." L'expérience la rend physiquement malade. Qu'importe, puisqu'une nouvelle Romy s'offre au métier. Plus aventureuse, moins inhibée. Buvant sec pour surmonter sa peur. Multipliant les expériences, en tournée avec "La mouette" auprès de Sacha Pitoëff, au cinéma où elle se bat pour obtenir les rôles de son choix. Elle sera ainsi la Leni du "Procès", d'Orson Welles.
Le saut de l'ange
Revenant à Vienne auprès de Preminger, Romy règle ses comptes au trouble passé autrichien avec "Le cardinal", puis s'envole vers un contrat hollywoodien. Alain s'éloigne, elle le sait, mais ne veut pas rompre. À son retour en France, un bouquet de roses l'attend. Le félin s'en est allé. Romy, désemparée, part à vau-l'eau. Sa carrière américaine est un semi-échec, la France l'oublie bientôt. Elle décide de se ressourcer à Berlin. Dans la capitale déchirée, la comédienne à l'image brouillée rencontre un metteur en scène de théâtre, intellectuel juif allemand, qui la rassure et lui offre son amour en guise de passion. Elle épouse Harry Meyen en 1966, met au monde, la même année, leur fils David. Se reconstruit lentement, laissant sa carrière en pointillés. Étrange parenthèse où elle joue, sans y croire, à la femme d'intérieur. L'emploi, au service d'un homme névrosé, finit par la lasser. Comme un signe du destin, Delon se rappelle à son souvenir. Star toute puissante de "La piscine", il la veut contre l'avis des producteurs qui la jugent has been. "Alain m'a imposée. Je lui dois beaucoup." À Saint-Tropez, l'été 1968, elle fait sa révolution. Le public français l'avait quittée ravissante. Il la retrouve rayonnante, d'une beauté émouvante, infiniment désirable. À Paris, lors du doublage du film en anglais, elle rencontre Claude Sautet. L'auteur de polars cherche un second souffle. Il vient de trouver son égérie. "J'ai eu l'impression, tout de suite, que ce serait facile de tourner avec elle parce qu'elle se livrait entièrement. Avec Romy, l'action n'a pas besoin de rebondissement. Tout, chez elle, est exprimé intérieurement : c'est sa manière irremplaçable de donner au quotidien sa dimension. Sa noblesse aussi."
Le tragique assumé
Avec lui, elle incarne un nouveau type d'héroïne ancrée dans la France pompidolo-giscardienne, partagée entre devoirs et pulsions, émancipation féministe et éternel féminin. Belle de jour sur les accords inoubliables des "Choses de la vie", rejouant à Jules et Jim pour "César et Rosalie", prostituée larguée de "Max et les ferrailleurs", libérée aliénée le temps d' "Une histoire simple", Romy imprime, à vif, son image dans la société. Auprès d'un Piccoli adoré qui la définit "tout en zigzags", de Montand qui l'irrite avant de la séduire, de Noiret, époux modèle du "Vieux fusil", elle impose un talent subtil explosant, soudainement, dans "L'important c'est d'aimer", où son rôle de comédienne ratée est la première expression d'un tragique assumé.
N'avait-elle pas, auparavant, porté le deuil du passé en revêtant, une ultime fois, la crinoline couleur de jais de "Sissi" dans un somptueux "Crépuscule des dieux" revisité par Visconti ? Jamais elle n'avait été si proche de sa vérité. Celle d'une jeune femme inapte au bonheur, refusant de s'apitoyer. Séparée de Harry, se battant pour la garde de David, elle peine à conjuguer maternité, frénésie professionnelle, vie sentimentale agitée. Excessive en tout. Charmeuse et emmerdeuse. "Romy vous accrochait jour et nuit, vous dévorait, écrivit Joseph Losey. Ses moments de désespoir étaient terribles et n'étaient souvent que la seule expression d'un besoin qu'elle avait que ses proches lui montrent leur affection et leur amour. Ces moments de demande intense étaient épuisants. Le plus important est que si elle avait confiance en vous, elle offrait les ressources de son talent, de son âme, de sa vulnérabilité."
Le cinéma est pourtant son salut. Romy aime être sollicitée pour oublier les trahisons, s'éprend de la plupart de ses partenaires, mélange boisson et médicaments afin de conjurer trac et échecs, et ne répugne pas, entre deux déprimes, à faire la fête, faisant une pause auprès de son secrétaire, Daniel Biasini, qui lui offre Sarah, ultime cadeau de la vie. Romy se consume. Comme un fait exprès, la fiction rejoint la réalité. Elle est abattue, condamnée, trépassée dans La banquière, La mort en direct, Fantôme d'amour et Garde à vue.
Hors caméra, l'actrice apprend le suicide d'Harry Meyen, puis doit subir l'ablation d'un rein. Quelques jours plus tard, David, son ange blond casse-cou, se tue accidentellement. Romy note dans son journal : "J'ai enterré le père, j'ai enterré le fils, mais je ne les ai jamais quittés et eux ne m'ont pas quittée non plus." Pour ne pas sombrer, elle accepte d'être "La passante du Sans-Souci", projet qu'elle avait initié. L'histoire est déchirante, la ressemblance de son jeune partenaire avec David, troublante. La résurrection a des accents de chant du cygne. Le 29 mai 1982, à l'aube, Romina ne se réveille pas. Vaincue d'avoir noyé ses larmes dans tant d'alcool et de pilules amères. "L'existence de Romy, dira Jean-Claude Brialy, me rappelle un mot de Cocteau : "Il est nécessaire de savoir jusqu'où on peut aller trop loin." Romy est allée très loin et elle n'en est jamais revenue."
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