Source : MatooBlog - 11 juillet 2011
J’ai lu la plupart des romans de Stefan Zweig et la “Lettre d’une inconnue” est certainement l’une des histoires qui m’a le plus marqué. Les oeuvres de Zweig se prêtent assez bien au théâtre puisqu’elles font souvent une belle part aux dialogues et proposent des études psychologiques délicatement ciselées. Il a très souvent exploité la passion amoureuse, et a livré en cela de fabuleux récits qui ne vieillissent évidemment pas. La passion amoureuse a-t-elle pris une ride ces trois mille dernières années ? J’avais déjà vu au théâtre une chouette adaptation du célébrissime “Joueur d’échec” et aussi d’”Amok“, mais là c’est indéniablement la meilleure qu’il m’ait été donné de découvrir.
Le roman est très court et très simple, assez linéaire même, mais d’autant plus frappant et percutant que son intrigue est passionnante et passionnelle. Un homme reçoit une lettre d’une inconnue, et il découvre à a lecture de ce courrier mystérieux, qu’il a rencontré la même jeune fille à plusieurs reprises, pendant vingt ans. Gamine, elle est tombée amoureuse, alors qu’ils étaient voisins, puis elle a dû déménager, mais elle est revenue jeune fille. Elle s’est même donnée à lui plusieurs fois, mais il ne l’a jamais reconnu. Elle a même eu un enfant de lui… Et l’homme, un écrivain vieillissant, ex casanova et tombeur de ces dames, découvre page après page, l’existence de cette femme pour qui il fut tout, mais qui ne conservera qu’une image fugace et floue de l’inconnue.
Sarah Biasini (fille de Romy Schneider dont la ressemblance est certaine, mais au final très différente) endosse remarquablement le rôle de l’inconnue, et on a en face un aussi excellent (et très beau) Frédéric Andrau. Les deux sont possédés par ce texte qui consiste à la lecture des lettres mais est mis en valeur et en “passion” par le jeu même des comédiens, et des phrases dites comme des répliques et parfois des joutes verbales. On oublie donc rapidement la forme romanesque et épistolaire, puisque la comédienne surtout vit complètement son personnage, dans sa folie amoureuse et sa passion dévorante et autodestructrice. Il y a un côté très “Actors Studio” dans son jeu (je ne suis pas étonné de constater qu’elle en est une ancienne étudiante), mais cela sied parfaitement au rôle et au texte de Zweig, elle reste donc juste et n’en fait pas “trop”.
Le décor est d’une simplicité déconcertante : quelques ampoules suspendues à différentes hauteurs au bout de fils, et qui s’allument différemment (et d’intensité variable) selon les moments. Le procédé est habile car il permet de savants éclairages des personnages et la plongée dans des atmosphères variées en très peu de temps. La mise en scène est assez dynamique et mobile, avec surtout Sarah Biasini qui occupe remarquablement l’espace. Elle commence même carrément dans le public, elle passe d’un côté à l’autre des rangées, assez inhabituel pour être notable et plutôt réussi, et on entre ainsi mieux en “contact” avec elle. Une fois que le poisson est ferré, elle monte sur scène, et on reste captivé pendant tout le spectacle. Une heure de pièce, c’est très bien pour ne pas se lasser et garder son attention, plus long serait chiant, plus court aurait paru bâclé.
On se laisse surtout porter par les deux comédiens et cette histoire géniale et terrible qui les laisse sur le carreau, et nous tient en haleine en délivrant un chouette petit moment de théâtre.
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