Source : A voir - A lire.com - 28 octobre 2010
Chef d’oeuvre pour les uns, honteux chantage à l’émotion pour les autres, Le vieux fusil ne peut laisser indifférent par la puissance d’évocation de ses images. Le public, lui, en a fait un triomphe.
L’argument : 1944 à Montauban, le chirurgien Julien Dandieu (Philippe Noiret), décide de mettre sa femme Clara (Romy Schneider) et sa fille Florence à l’abri en attendant la fin de la guerre. Il les installe à la campagne, dans son château familial. Quelques jours plus tard, Julien décide de les rejoindre. Il découvre alors avec horreur que les SS sont déjà passés par là...
Notre avis : Librement inspiré du terrible drame d’Oradour-sur-Glane qui a vu une division SS éliminer la totalité des habitants du village lors d’une expédition punitive en 1944, Le vieux fusil (1975) est une oeuvre puissante qui a fait couler beaucoup d’encre et qui continue aujourd’hui à susciter des réactions extrêmes de la part des spectateurs. Certains dénoncent un chantage à l’émotion pratiqué par un cinéaste revanchard qui vise à mettre en exergue la loi du talion, tandis que d’autres y voient avant tout un film d’amour fou contrarié par la grande Histoire. Les deux camps mettent en avant des arguments qui tiennent la route et ne sont pas forcément contradictoires.
La grande originalité du "Vieux fusil" est d’avoir dynamité de l’intérieur un film français classique en proposant au public une expérience d’une rare violence psychologique. Malgré un casting trois étoiles constitué d’acteurs reconnus (Philippe Noiret et Romy Schneider, tout de même), Robert Enrico signe une oeuvre radicale qui emprunte beaucoup de ses effets au cinéma d’exploitation. Au lieu de suggérer l’horreur de la situation (un village entier massacré par des SS, et le meurtre atroce de la petite famille d’un notable qui cherche alors à se venger), Robert Enrico opte pour une totale exposition de la violence, au risque de déplaire aux tenants du bon goût. Sa vision de la guerre est donc sale, désespérée et terriblement crue. Il n’épargne rien au spectateur, entre scènes de viol collectif, massacre d’un village entier, meurtres d’enfants et de femmes au lance-flamme. Autant dire que le résultat final s’avère difficilement supportable, d’autant qu’il est souligné par une musique angoissante (et géniale) de François de Roubaix.
Symptomatique d’un certain cinéma jusqu’au-boutiste des années 70, "Le vieux fusil" met terriblement mal à l’aise et interroge la capacité du spectateur à supporter l’horreur à l’état pur. En cela, la seconde partie du métrage (la croisade vengeresse du notable fou de douleur) fait clairement appel aux sentiments les plus nauséabonds de l’être humain. Toutefois, il est bon de rappeler à ceux qui accusent le film d’être une apologie du fascisme que le personnage principal agit clairement sous le coup de la douleur et même, comme le révèle le bouleversant plan séquence final, de la folie pure et simple. A la manière du Sam Peckinpah des Chiens de paille, Robert Enrico a signé une oeuvre ambigüe sur la violence, entre fascination et dégoût. En tout cas, le public français de l’époque a répondu présent puisque le long-métrage a attiré 3 347 400 spectateurs dans son château des horreurs. Le film a ensuite obtenu 3 César mérités dont celui du meilleur film, du meilleur acteur pour Philippe Noiret et de la meilleure musique. Dix ans plus tard, le film d’Enrico a même reçu le César des Césars lors d’un vote spécial. Une popularité jamais démentie pour un film toujours conspué par une grande partie de la critique. Et pourtant, rares sont les films français à posséder une telle force d’évocation à propos d’un conflit aussi barbare.
Virgile Dumez