Fascinant documentaire retraçant une époque charnière du cinéma français, «L'enfer d'Henri-Georges Clouzot» traite du film maudit du célèbre cinéaste, où un montages dynamique ankylose les sens tout en permettant une réflexion approfondie sur les affres du septième art.
Henri-Georges Clouzot est un des maîtres les acclamés du cinéma français, notamment grâce à des récits aussi majestueux que «Le corbeau», «Quai des Orfèvres», «Le salaire de la peur» et «Les diaboliques». La fin des années 1950 et surtout le début des années 1960 marquent la fin d'un certain classicisme et l'émergence de la Nouvelle Vague, reléguant pratiquement aux oubliettes plusieurs metteurs en scène.
Ce n'est pas le cas du créateur de «Manon» et de «La vérité». Grâce à des capitaux financiers pratiquement sans fin (les majors de Columbia le soutenaient, ce qui était rare pour un artisan étranger), il se met à élaborer une trame narrative tordue autour d'un homme jaloux (Serge Reggiani) et de sa campagne (Romy Schneider). Cet essai, intitulé «L'enfer», porte bien son nom, car il n'a jamais été mené à terme. C'est là qu'entre en jeu le réalisateur Serge Bromberg. En découvrant une multitude d'archives éloquentes de 1964, il a décidé en compagnie de Ruxandra Medrea de concocter un documentaire sur le sujet, navigant au sein d'extraits du long métrage avorté et de témoignages probants, demandant à deux comédiens (Jacques Gamblin et Bérénice Bejo) de se lire les échanges du scénario. Le résultat ne peut qu'intéresser au plus haut point le cinéphile.
Sur le simple plan intellectuel, il s'agit d'une plongée dans le cinéma, une analyse fine et évocatrice de l'artiste et de sa façon de créer qui dévore tout autour de lui. À l'instar de l'influent «La nuit américaine» de Truffaut, le plateau de tournage devient le lieu de tous les dangers, et même si l'homme qui tire les ficelles de son équipe est quelqu'un d'aussi estimé que Clouzot, le succès n'est pas nécessairement assuré.
Il y a également le plaisir de remonter dans le temps et de vivre l'espace de quelques minutes un chef-d'oeuvre qui aurait certainement été plus important que le dérivé qu'a conçu Claude Chabrol en 1994. Revoir la bouille de Reggiani, le minois inoubliable de Schneider (fantasmes, fantasmes!) et les rouages de l'époque. De témoigner du passé grâce à des intervenants comme Costa-Gavras et d'être porté par un montage hypnotique où les images et le son se dédoublent et se répondent (inspiré du «8 ½» de Fellini) sans cesse.
Encore plus impressionnant et instructif que le très bon «Lost in La Mancha» consacré à Terry Gilliam, «L'enfer d'Henri-Georges Clouzot» est un document passionnant de bout en bout. S'il n'est pas obligé de connaître le contexte et le cinéaste pour en tirer un immense plaisir, le spectateur cinéphile sera au septième ciel en ouvrant cette belle boîte - de Pandore? - d'où émanent des visages qui ne s'effaceront jamais et un projet qui aurait peut-être pu être mythique.
lecinema.ca a aimé :
- Retourner en 1964 et voir quelques extraits de ce coït interrompu
- L’immersion dans l’univers de Clouzot, sa vision, ses thèmes, sa façon de les traiter, etc.
- L’utilisation simple mais efficace des intéressantes archives
- La mise en scène et le montage extrêmement artistiques
- Ce parfum de nostalgie, de beauté et de tristesse,
- comme en redécouvrant un vieux film où la plupart de ses artisans ne sont plus de ce monde
lecinema.ca n'a pas aimé :
- La deuxième partie de l’ouvrage suit une ligne directrice plus floue, moins évidente
- Dommage que le documentaire prenne l’affiche une semaine où il y a déjà une dizaine de nouveaux longs métrages. Dans le lot, il sera facile de l’oublier
par Martin Gignac
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