La rencontre s’était déroulée quelques mois plus tôt : un grand cinéaste, Henri-Georges Clouzot, allait diriger une star montante, Romy Schneider, 26 ans, révélée par Sissi , rôle dont elle cherchait à s’affranchir. Le projet s’appelait L’enfer. Une histoire de jalousie maladive et obsessionnelle.
Nous étions en 1964. Les extérieurs avaient débuté dans le Cantal, mobilisant près de 400 personnes. En clair, une superproduction à la française. Et puis les ennuis s’amoncellent. Le retard. Le lac servant de décor devant bientôt être asséché. La colère de Reggiani, qui abandonne le plateau. Et enfin le malaise cardiaque de Clouzot. L’enfer se retrouve suspendu. Il ne reprendra jamais et le film deviendra un mythe.
Et puis, l’an passé, Serge Bromberg, qui dirige Lobster Films (société de restauration), se décide à contacter Inès, la veuve de Clouzot. Chaque demande précédente s’est soldée par un refus, mais le courant passe. Inès accepte de lui ouvrir ses malles : 185 bobines représentant quelque treize heures de rushes. Aucune trace du son, en revanche, visiblement perdu. Mais les essais avec Romy sont là. Ils témoignent du génie visionnaire de Clouzot et de cette «cinégénie» unique qui caractérisait l’actrice.
Pour ce film, le cinéaste avait les pleins pouvoirs. La Columbia lui avait donné un budget illimité. Il ne s’en prive pas et se lance dans une série d’essais sur l’image, tentant de traduire visuellement la dérive mentale que subit le héros du film à cause de sa jalousie. Sur pellicule, cela confine au délire. Des plans hypnotiques, fantasmatiques, dévoilant une Romy sensuelle ou dérangeante. Plus loin, des jeux de lumière, des effets de miroirs, des inversions de couleurs, etc.
Lecture de scènes du film
Il va sans dire que Bromberg a dû avoir un choc en visionnant cela. Le même choc que nous pouvons ressentir en découvrant le documentaire qu’il en a tiré. Sobrement titré L’enfer d’Henri-Georges Clouzot, il raconte cette odyssée et laisse entrevoir ce qu’aurait pu être ce probable chef-d’œuvre. Pour affiner sa démarche, Bromberg convoque quelques rares témoins survivants de cette entreprise, qui, au final, laissera à la Columbia une ardoise de 5 millions de francs. Pour éclairer le récit, il demande à deux comédiens, Bérénice Bejo et Jacques Gamblin, de lire des scènes du film dans un décor nu. C’est de loin la moins bonne idée de ce métrage. Leur jeu n’a que peu de consistance et leur présence est éclipsée en un quart de seconde par n’importe quel gros plan d’une Romy totalement inédite !
Pascal GAVILLET
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