Source : NouvelObs.com - 09 novembre 2009
C'est la rencontre de deux mythes du cinéma français: le film maudit et la star légendaire. En 1964, Romy Schneider tournait "L'Enfer", d'Henri-Georges Clouzot, un long-métrage qui ne sera jamais achevé. Quarante-cinq ans plus tard, et vingt-sept ans après la disparition de l'actrice, les images sortent enfin sur les écrans, dans un documentaire intitulé tout simplement "L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot" (ce mercredi dans les salles françaises).
C'est Serge Bromberg, producteur et restaurateur de films, qui a convaincu la veuve du cinéaste de lui confier les 185 bobines (13 heures de pellicule) qui dormaient dans un placard, pour en faire un documentaire pas comme les autres. On y voit d'abord Clouzot, réalisateur de chefs d'oeuvre tels que "L'assassin habite au 21", "Le corbeau" ou "Le salaire de la peur", expliquer qu'il sort d'une dépression après le décès de sa première femme Véra, qu'il est insomniaque et écrit des scénarios la nuit, et qu'après être resté quatre ans sans tourner, il a décidé de s'attaquer à une histoire dont l'un des personnages principaux est, par moments, "dans un état pathologique".
Ce personnage est Marcel, patron d'un petit hôtel de province, interprété par Serge Reggiani. Maladivement jaloux, il est obsédé par l'idée que sa femme Odette (Romy Schneider) le trompe, et a des soupçons à tout moment et sur tout le monde. Au début du film on le voit, un rasoir à la main, devant le corps allongé d'Odette, essayant de se souvenir comment il en est arrivé là. Il tente de se remémorer leur vie à deux, le début heureux de leur histoire, l'achat de l'hôtel, la rencontre avec Odette, le mariage, le bébé... Mais très vite le souvenir se trouble, la jalousie et les visions se font plus présentes, et le spectateur à son tour est saisi par l'angoisse et le doute...
Les scènes de la vie réelle sont tournées en noir et blanc, celle des visions de Marcel en couleurs. Les premières sont d'un classicisme appliqué, les secondes au contraire font appel à des techniques nouvelles en déformant les images et les sons, en jouant avec les couleurs, le montage, le mixage. C'est ce film, à la réalisation révolutionnaire pour l'époque, que les spectateurs de 1964 auraient dû découvrir. Malheureusement le tournage s'arrêta au bout de trois semaines, en raison d'une crise cardiaque de Clouzot (qui s'en remettra, puisqu'il tournera un autre film en 1968, avant de décéder en 1977).
Alternant les extraits du film et les interviews, 45 ans après, de certains membres de l'équipe du film (dont Costa-Gavras, alors assistant réalisateur), Serge Bromberg raconte l'histoire de ce tournage particulier, d'où ressort un portrait de Clouzot en homme perfectionniste, autoritaire, dépassé par son projet. Le documentaire est complété par quelques scènes, jamais tournées, dont Bérénice Bejo et Jacques Gamblin, dans les rôles d'Odette et de Marcel, lisent les répliques, un procédé qui n'apporte pas grand-chose.
Les amateurs d'histoire du cinéma apprécieront que soit enfin levé le voile sur ce film inachevé mais mythique qui, s'il avait vu le jour, aurait sans doute fait grand bruit. Mais ce sont surtout les images de Romy Schneider qui marquent l'écran, notamment dans la partie en couleurs du film, celle des visions de Marcel rendu fou par la jalousie, où l'actrice est fascinante dans les essais, expériences et variations de tous genres que lui a imposés Clouzot. On n'entend jamais sa voix, mais on la voit, superbe, comme on ne l'avait jamais vue auparavant tout au long de sa carrière pourtant riche.
AP
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