Source : Wow Magazine - 27 octobre 2009
Mi-oubliées mi-mystifiées, les images perdues de L’Enfer, tournées par Henri-Georges Clouzot en 1964, trouvent pour la première fois le chemin des salles obscures. Film maudit au tournage cauchemardesque, L’Enfer devait raconter l’histoire d’un homme jaloux, Marcel Prieur (Serge Reggiani), qui sombre peu à peu dans la folie, pensant que sa femme, Odette (Romy Schneider), le trompe. Clouzot avait nourri des ambitions titanesques pour ce film. Doté d’un budget illimité et seul maître à bord, il ne parvint jamais à achever son œuvre. Ce fut l’attaque cardiaque dont il fut victime trois semaine après le début du tournage qui le força à abandonner le projet. Jusque-là, ni le départ de Serge Reggiani, ni l’incompréhension de plus en plus grande de ses acteurs, techniciens et assistants n’étaient parvenu à modérer son obsession créatrice.
Ces images retrouvées, couplées à des photos, storyboards et documents sonores d’époque, côtoient entretiens et scènes rejouées dans le documentaire de Serge Bromberg et Ruxandra Medrea. L’objectif est double, il s’agit ici de rejouer l’histoire tout en essayant de comprendre l’échec des ambitions de Clouzot. Au fil des entretiens, on découvre que le malaise était présent avant même le tournage et n’a fait qu’empirer. Les différentes personnes interrogées, dont Costa Gavras et William Lubtchansky (connu entre autres pour son travail avec Philippe Garrel) sont unanimes : personne ne comprenait ce qui se passait, ce que Clouzot cherchait. On finit par deviner que tous travaillaient “à l’aveugle”, tentant de suivre des directions qui ne leur étaient jamais indiquées.
Clouzot avait développé dès le début une obsession pour chaque détail, préparant méticuleusement chaque plan dès le storyboard, plaçant très précisément les caméras et les acteurs. Les moyens financiers dont il disposait lui ont sans doute donné l’illusion d’une liberté absolue, le préservant de toute considération temporelle. Puisque personne n’était là pour l’arrêter, il avait tout loisir de s’égarer dans son inspiration. Dans le même temps, avec une volonté avouée de créer un nouveau cinéma, il s’inspira de l’art cinétique (art fondé sur le mouvement et les effets optiques) pour filmer les images issues de la folie de son personnage dévoré par la jalousie. L’équipe de tournage, de plus en plus consciente de l’échec annoncé, ne savait comment réagir face à un réalisateur occupé à filmer indéfiniment les mêmes plans, repoussant de ce fait le tournage d’autres scènes nécessaires.
Pour ce qui est de filmer l’obsession, on peut affirmer que Clouzot avait réussi. Ces images, silencieuses, véritables expérimentations visuelles affranchies de toute contrainte narrative, nous hypnotisent. Elles fascinent par leur beauté absolue et les émotions qu’elles peuvent provoquer. On reste captivé par ces plans de Romy dont l’éclairage tournoyant parvient à changer radicalement son expression sans qu’elle la modifie elle-même. Ils expriment toutes les interprétations qu’un esprit obsédé peut donner à un visage impassible.
Ce documentaire est un formidable travail d’archive qui permet de découvrir des images dignes de leur légende. Malheureusement, outre une voix off irritante par son excès d’emphase, le film souffre d’un défaut majeur et pourtant prévisible. La pertinence des scènes rejouées par Bérénice Bejo et Jacques Gamblin reste un mystère. Conçues par Serge Bromberg comme un “lien dans la narration”, leur présence est superflue et gêne la fluidité du documentaire. N’importe quelle actrice, dans un travail similaire, ne pouvait que souffrir de la comparaison avec Romy Schneider. En les accolant aux images d’archive, Serge Bromberg et Ruxandra Medrea rendent ces scènes pénibles pour le spectateur et embarrassantes pour les acteurs.
Malgré cette faiblesse, on ne peut que recommander ce documentaire qui offre l’occasion à laquelle on n’aurait su rêver de découvrir une œuvre sublime quoique inachevée tout en se demandant ce que Clouzot aurait pensé de l’épilogue donné à son film.
Marie Eva Marcouyeux
Je ne sais toujous pas si j'ai envie de visionner ces images.
Rédigé par : claudine | 31 août 2010 à 20h06