Source : Le point - N° 1897 - 27 janvier 2009
Dans «Le Bal des actrices», faux documentaire sadique et emballant, Maïwenn mène l’enquête sur les actrices françaises, au bord de la crise de nerfs.
Saviez-vous que Karin Viard trépigne à l’idée de faire carrière à Hollywood ? Mais qu’elle est nulle en anglais et éclate en sanglots après quelques mots ? Muriel Robin, elle, ne rêve que d’une chose : jouer Molière. Mais ne supporte pas la moindre remarque de son metteur en scène, Jacques Weber, pensant qu’il la méprise. Il paraît que Marina Foïs s’injecte du Botox pour faire plus jeune, et pète les plombs quand un agent la jette. Julie Depardieu adore les rôles de femme enceinte et voit, névrosée, des bébés partout. Romane Bohringer ? Elle touche des enveloppes en vantant les mérites des téléphones portables. Voilà un florilège de ce qu’on apprend dans le dernier film de Maïwenn. Ou du moins de ce qu’on apprendrait s’il s’agissait d’un vrai documentaire. Sauf que c’est un peu plus compliqué... Soit donc Maïwenn, actrice réalisatrice, qui s’est mis en tête d’aller cuisiner les actrices. Comme le suggère l’affiche aguicheuse du film -le gotha du cinéma féminin y pose dans le plus simple appareil-, il doit s’agir d’une mise à nu. On la voit, apparemment bonne copine, sainte-nitouche avec sa petite caméra, comme si ces conversations n’étaient qu’un jeu sans conséquences, les suivre dans leur intimité, les titiller sur leurs failles, leurs frustrations. Leur confession achevée, elles ont droit chacune à une chanson où elles peuvent exprimer leur désir : Jeanne Balibar aspire, comme son ex-mari, Mathieu Amalric, à tourner en latex dans un film d’espionnage. Charlotte Rampling, sur des paroles de Joeystarr, aimerait oublier les outrages de l’âge. Estelle Lefébure rêve tout simplement d’être une actrice et, pour cela, est prête à embrasser une fille avec la langue et à y prendre du plaisir... Les répliques font mouche, mais de qui parle-t-on ? Des actrices elles-mêmes ou de leur personnage ? Un peu des deux, mon général. Car Maïwenn ne s’en cache pas : «J’aime bien brouiller les genres.» En cela, son bal reflète notre époque : les actrices sont avant tout des people. Aussi repose-t-on la question : où est la vérité dans ce bal emballant, intelligent et culotté ? Pervers ?
«Sur un carnet, j’ai dressé une liste des actrices que je voulais filmer. J’ai noté des choses qui m’étaient arrivées, d’autres que j’aurais aimé vivre, puis, en rencontrant les actrices, je leur ai demandé ce qui les amuserait de jouer. » Viard a parlé de son blocage en anglais. Robin, de sa souffrance à être le clown de service. Rampling, malgré des réticences, du temps qui passe. Balibar, de son ras-le-bol de l’étiquette intello. Foïs, de certaines humiliations. Quant à l’actrice has been devenue l’égérie tarifée des portables, Maïwenn avait l’idée en tête : «Mais trois "vraies" has been ont refusé. Elles ne voulaient pas jouer en leur nom propre.» Il y a parfois des mélanges : Julie Depardieu, qui parle pour de vrai de ses poules et de son jardin, a remplacé au dernier moment une actrice qui trouvait le rôle trop personnel. Il y a eu aussi des rôles supprimés, notamment Adjani -«une actrice sans âge qui se cache derrière son chapeau»-, effrayée par la violence du portrait.
Maïwenn aime les actrices, mais ne les ménage pas, si l’on en croit le personnage de Mélanie Doutey, que lui a inspiré une comédienne bien connue : une star qui voudrait qu’on la supplie de jouer, et qui fait croire qu’elle se ressource dans un bidonville en Inde, alors qu’elle se la coule douce au bord de la piscine d’un hôtel 5 étoiles : « Certaines font tout pour être connues : le jour où elles le sont, elles crachent dans la soupe.» Maïwenn a l’intelligence de ne pas s’épargner : elle se moque de son propre fonds de commerce -son image Libé-Inrocks, dit-elle- et se fait charrier par son compagnon à l’écran, un impayable Joeystarr reconverti en papa poule qui interdit à son fils de porter à l’école des tee-shirts NTM.
Elles en bavent, nos actrices françaises. Mais après ces tonnes de papier glacé où elles étalent leur réussite et leur épanouissement personnel, on ne va quand même pas pleurer. Ça nous ferait même presque plaisir. Du coup, on s’interroge : ont-elles aimé se voir en ce miroir ? «Elles se sont amusées à jouer, car elles sont intelligentes, elles avaient le recul, répond Maïwenn. On dit que je suis une manipulatrice, c’est faux.» Mais ont-elles aimé ? «Elles m’ont dit que oui. Elles m’ont peut-être menti.» Nous, sans mentir, on a aimé.
François-Guillaume Lorrain