Source : Les Echos - 21 février 2008
Une subtile résurrection du XVIIIe siècle mise en scène par Christophe Lidon. Dans un décor qui modifie les perspectives et les reflets, le metteur en scène a su donner sa vie secrète à tous ces mouvements immobiles.
Avec Danièle Lebrun, Sarah Biasini, Roger Dumas.
Théâtre Hébertot, à Paris. Tél. : 01.43.87.23.23.
Texte à L'Avant-Scène Théâtre.
Il doit bien exister encore quelques salons dont les hôtes croient encore qu'ils refont le monde à partir de leur bruyant cénacle. Au XVIIIe siècle, puis au XIXe, leur pouvoir était réel et consacrait la revanche des femmes, déclassées dans l'organisation sociale et triomphantes dans la réflexion politique et philosophique. Avec « L'Antichambre », Jean-Claude Brisville donne une vie théâtrale à ce temps-là et à deux des plus célèbres figures de l'agitation aristocrate, Mme du Deffand et Julie de Lespinasse. Nous sommes dans les années 1750. Mme du Deffand, déjà âgée, a pour visiteur assidu le président du Parlement. Ils commentent entre eux les réunions qui ont eu lieu. Mais, sa vue baissant, la maîtresse de maison annonce qu'elle a besoin d'une lectrice et qu'elle a pris chez elle une nièce illégitime, Julie de Lespinasse. Celle-ci arrive et, désormais, le cercle s'élargit à ces trois personnalités entre lesquelles les rapports de préséance, de confiance, de séduction et d'autorité intellectuelle ne vont cesser d'évoluer. L'action se passe hors scène : tous ces Diderot et autre d'Alembert nous sont présents par ce qu'il en est dit. Et elle se poursuit sur scène : la marquise combat en vain le déclin qui la menace, le président est prêt à favoriser l'avenir de cette Julie qui, séduisant les philosophes, supplantera un jour sa bienfaitrice.
Fureurs masquées
Dans un décor de Catherine Bluwal qui modifie étonnamment les perspectives et les reflets, le metteur en scène, Christophe Lidon, a su donner sa vie secrète à tous ces mouvements immobiles. Car jamais les personnages n'explosent et ne se disent ce qu'ils pensent au fond d'eux-mêmes. Ils griffent mais restent dans une courtoisie menteuse et blessée, dans des fureurs masquées, dans des attractions dissimulées. Ils sont d'une politesse suprême et, pourtant, mobiles dans leur immobilité, violents à l'intérieur de leur suavité, passionnés sous leur distance. Il y a là un passionnant chemin de sinuosités vitales que les trois acteurs parcourent avec un exact sens du mot direct et du mot masqué. Danièle Lebrun est une grande musicienne du langage ; elle fait entendre chaque syllabe comme un grand pianiste chaque note. Sarah Biasini, qu'on avait vue si tendre, trop tendre dans « Pieds nus dans le parc », donne un très bel éclat et une touchante profondeur à Julie, qu'elle dessine à mi-chemin entre la jeunesse rêveuse et l'âge où l'on comprend le jeu social. Roger Dumas est fascinant en vieux président, roué, massif, fragile, écrasé par l'âge et néanmoins mutin.
Créée il y a dix-sept ans par Suzanne Flon, Emmanuelle Meyssignac et Henri Virlogeux, la pièce de Brisville n'avait convaincu qu'à moitié. La voilà avec toutes les beautés et les épines du jardin à la française.
Gilles COSTAZ
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