"Boccace 70"
Encore un film depuis longtemps porté sur les ailes de la publicité, encore aussi une montagne qui accouche d'une souris. Avez-vous jamais lu le Décaméron ? Il m'est, d'ennui, si souvent tombé des mains, que je confesse humblement mon inappétence pour cette littérature post-médiévale. On le considère néanmoins comme un chef-d'oeuvre et peut-être le fut-il en son temps. Il s'est fait, en tout les cas, une notoriété de gaillardise aimable, de crudité naïve qui souvent, plaira.
La grande majorité du public ignore que son auteur a accumulé une oeuvre de philosophe éridit extrêmement abstraite et eut, en définitive, la plus dévote des existences. Boccace reçut les ordres mineurs et eut, à partir de 1360, charge d'âmes dans une cathédrale, il nourrit pour l'atrarque - qui n'était ni drôle, ni gaillard - une telle admiration qu'il ne peut guère lui survivre. Mais les légendes sont tenaces et les oeuvres de jeunesse colorent à jamais une réputation. Boccace reste pour la postérité le chantre de l'amour, d'un amour dégagé de toute ses contingences sociales, voire religieuses. "Rome, on ne lit point Boccace sans dispense" dira La Fontaine et c'est la manière de ce Boccace-là que plusieurs metteurs en scène italiens et non des moindres ont eu la prétention de ressuciter.
L'entreprise, il est vrai, s'est un peu fatiguée en route. Cesare Zavattini qui est à l'origine de cette oeuvre, voulait donner aux spectateurs du monde entier une vue d'ensemble de l'amour en Italie de nos jours. Il avait imaginé au moins dix metteurs en scène, racontant des histoires de plusieurs régions d'Italie. Les producteurs, par souci d'économie, on réduit d'abord cete participation à quatre : Federico Fellini, Vittorio de Sica, Luchino Visconti et Mario Monicelli. Mais sur résultat des tournages, lefilm de Monicelli a disparu de l'affiche. Ne nous en plaignons certes pas ! La longueur - longueur très souvent inutile - de la projection restante dit assez qu'on n'a pas su éviter la démesure.
En fait, on se trouve bel et bien devant trois sketches, trois moyens métrages de valeur inégale et qui, au demeurant, ne rappellent le Décaméron que par leur fatigante prolixité. Federico Fellini, à qui on ne saurait évidemment rien refuser, depuis le succès de la 3dolce Vita" a dépensé quelques 250 millions pour cette oeuvrette. Elle contient d'excellentes réussites visuelles et encore plus de fautes de goûts. [...]
La sensualité a-t-elle donc tellement besoin, en 1962, de défenseurs, qu'elle doive les prendre dans ce que le cinéma comptait de meilleur ? On en peut douter. Le reste est de la même eau. Mais avec le talent en moins. Viscontine à se révéler le plus verbeux, le plus inutilement verbeux des réalisateurs italiens, malgré l'aide initiale de Maupassant. Sica penche, comme il le fait pesque toujours désormais, vers une déplorable facilité : qu'un sacristain gagne une belle fille à la loterie, n'empêche pas ce troisième et dernier sketch de finir gentiment - et sans trop d'accrocs à la morale.
Il était temps, nous dormions...
André BESSEGES
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