Christine : Le « remake » ne paie pas
Pour les spectateurs – et ils sont forcément nombreux – qui ne connaissent pas l’admirable « Liebelei » de Max Ophuls, tourné en 1932 et qu’on ne peut plus voir aujourd’hui qu’à la Cinémathèque, le film de Pierre-Gaspard Huit se présente surtout comme une imitation très décevante de ces films viennois, mi-opérettes, mi-comédies en falbalas, dont les toilettes 1900, les valses de Strauss et les tendres intrigues sentimentales font tous les charmes. A vrai dire – et qu’on me pardonne cette vérité première – pour faire un film d’esprit viennois, il faut être Viennois ou, tout au moins, en avoir l’esprit.
« Christine », nouvelle adaptation par le Français Pierre-Gaspard Huit d’une pièce assez cruelle d’Arthur Schnitzler, fut, en fait, la première pièce naturaliste représentée en 1895 devant l’empereur d’Autriche et sa cour.
Malgré la belle photographie en couleurs de Christian Matras, les jolis décors d’Eaubonne, les toilettes très réussies des actrices, les extérieurs tournés à Vienne même, le film n’a ni atmosphère, ni rythme, sauf dans les quelques scènes finales où Romy Schneider, de midinette devient femme et, malgré le doublage, nous dispense une émotions autrement subtile que dans les « Sissi ».
Alain Delon et Jean-Claude Brialy, grands adolescents modernes, sont parfaitement inauthentiques en officiers autrichiens. Je n’ose dire qu’ils sont très mauvais, car il est impossible de juger de l’interprétation dans un film comme celui-ci, où les acteurs ne sont absolument pas dirigés, au point que la charmante Micheline Presle semble ânonner son texte comme à un discours de distribution de prix. Seule Romy Schneider tire –et mieux que bien – son épingle du jeu, mais elle est Viennoise et sa maman l’a supervisée.
Car, à la base « Christine » n’est rien d’autre qu’un remake de ce film de Max Ophul de 1932, qui s’appelle « Liebelei » comme la pièce d’Arthur Schnitzler dont il est tiré. Liebelei ? Cela veut dire « amourette ». Sous le règle de François-Joseph, les officiers autrichiennes, venus de l’aristocratie, s’amusaient volontiers avec les filles du peuple, mais n’attachaient aucune importance à ces liaisons éphémères, une amourette n’étant pas l’amour.
Il arrivait parfois que la midinette viennoise prit le jeu au sérieux et… en mourut. Magda Schneider fut autrefois une merveilleuse Crhistine. Plus éclatante, possédant aujourd’hui plus de métier qu’elle n’en avait à l’époque, sa fille est parfois comme son vivant reflet. Que l’entreprise soit purement commerciale, on ne songerait peut-être pas à s’en indigner si ce remake était aussi honnête que celui de « Jeunes filles en uniforme ». Mais pour ne pas avoir l’aire de s’inspirer de Max Ophuls, Pierre-Gaspard Huit a démoli le scénario initial dont toutes les séquences importantes ont été déplacées chronologiquement, à développé des scènes nouvelles et bavardes et transposé en été ce qui se passait ailleurs en hiver, tout cela pour arriver finalement à démarque la fin du film d’Ophuls de l’instant où se font entendre les premières mesures de la « Symphonie du destin » jusqu’à la mort de Christine.
Les admirateurs de Max Ophuls ont le droit de protester. Quant à ceux qui n’ont pas vu et ne verront pas « Liebelei », ils ont le droit de s’estimer lésés, car on leur sert ici une marchandise qui ne possède même pas les attraits spectaculaires d’un quelconque « Sissi ». Le remake ne paie pas, croyez-nous.
Jacques SICLIER
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