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La républiques des Libres - 06 janvier 2010
Tout le monde aura vu, sinon entendu parler du film "Ludwig le crépuscule des Dieux" du grand et emblématique Luchino Visconti. Sorti en 1972, ce film-fresque historique de plus de 4 heures, est absolument sublime et mérite, ô combien, que l'on y revienne et qu'on en parle à nouveau.
Quatre personnages : Sissi, en cousine, (Elizabeth d'Autriche), Richard Wagner, liés, reliés et agissant sur le destin de Louis II roi de Bavière et le réalisateur, Visconti, amoureux fou de l'esthétisme et des destins marqués au fer rouge.
Un prince donc, pré-destiné à gouverner la Bavière, -je vous passe la généalogie - alors qu'il n'en a ni l'aptitude, ni l'enclin, modelé et détruit par tout ce que le pouvoir impérial en Europe compte d'hypocrisie, d'alliances incestueuses, de conflits d'intérêts, d'église catholique vérolée et de pouvoir épuisé.
Il suffira, pour parler du film, de regarder l'affiche... Que voit-on ? Le visage de Louis II, incarné par Helmut Berger dont la sensibilité exsude, dans le film, à chacun de ses gestes et chacune de ses paroles. Mais un visage habité par l'amour inassouvi qu'il porte à sa chère cousine, Elizabeth d'Autriche, elle aussi victime de sa naissance, dont Romy Schneider joue le rôle, un rôle "mise en abîme", puisque Visconti lui permet de rejouer le très kitsch et controversé rôle de "Sissi" de sa toute première jeunesse. Visconti devait être bon et son goût pour l'esthétisme cinématographique s'alliait à sa gentillesse pour les acteurs. Car -et c'est cela qui est absolument superbe dans ce film - chaque rôle est un écho de l'acteur qui l'incarne, un reflet, un bout d'histoire. De cette confusion des sentiments, des ressentis, émane une atmosphère très particulière, "baroque" et empreinte de pudicité, comme composée de mille voiles s'agitant devant chacun. Un air feutré, un peu lourd, vicié et sans beaucoup d'oxygène. Et c'est normal. Visconti veut montrer à quel point le tout jeune Louis II (il monte sur le trône à dix-neuf ans) emprisonné dans un rôle, va peu à peu sombrer dans une démence forcée induite par les interdits de sa charge.
Premier interdit : pouvoir aimer physiquement la femme qu'il admire et dont il est amoureux depuis l'enfance, sa cousine. Deuxième : Concrétiser sa passion pour l'art de Richard Wagner et sa musique, à qui il voue une admiration sans bornes, et pour son goût des arts en général et ça en toute impunité. Troisième : ne pas souffrir par les autres au sein du pouvoir. Mais à la fin du XIX siècle, et à la cour de Bavière, on ne peut guère se permettre de s'adonner aux collections artistiques et encore moins aux amours interdites sans être marginalisé. Visconti ne lésine pas. La prison royale, toute dorée et fastueuse soit- elle, génère ses propres monstres, comme une erreur dans l'élaboration des chefs dont elle ne peut cependant pas se passer. Ludwig va peu à peu, après que la réalité l'ait finalement rattrapé, prendre la tangente : il sombre dans un enfermement définitif, s'entoure de jeunes hommes, se drogue, s'enivre sans cesse et tente de survivre. Après avoir été déniché et destitué par ses ministres, abandonné de ses seuls soutiens, absolument seul et parfaitement lucide quant à son état et à son sort, il choisit de se suicider.
La façon dont Visconti traite le sentiment amoureux de Ludwig pour Elizabeth est magistrale. Chaque scène qui nous y plonge se déroule dans la nature ou nous y ramène : forêts, paysages de neige, paysages d'eau, chevaux... tandis que l'architecture des humains ramène à la raison puis doucement à la folie, pour finir par la fusion avec l'eau lors de la disparition définitive de Ludwig.
La musique de Wagner, à partir du moment où Ludwig décide de passer le cap, irréversible, de son auto -destruction, vient alors en soutien, pour suppléer à l'absence de toute raison (Scène du canotage dans la grotte artificielle ). Visconti a su jongler avec brio sur tous les registres du film : acteurs, photo, musique, mis en en scène et scénario tout concourt à l'impression de déliquescence d'un homme, victime de sa famille.
Màc a eu une très belle phrase sur cet homme singulier que je cite : "Louis II, un personnage qui rappelle Sissi... plein d'angoisse, de mélancolie, d'insatisfaction et de génie...." Et certainement ce qui nous rend ces personnages si attachants, est cette dose d'humanité aveuglante dans un univers rigide et froid. Pour moi c'est un film qui reste toujours aussi fascinant, une mine d'or. Et pour terminer cette simple évocation d'une rare oeuvre cinématographique magistrale, je vous propose de regarder ce portrait de Romy Schneider absolument extraordinaire tant il est comparable à un portrait peint du XVIIs hollandais.