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Source : L'union.fr & La Dépêche du dimanche -10 janvier 2021 (article identique)
Sarah Biasini : Romy Schneider… ma mère
La comédienne Sarah Biasini, en se confiant à sa petite fille, s’ouvre en même temps à sa mère, Romy Schneider. Un passage de témoin qui lui permet enfin de faire le deuil de l’actrice préférée des Français, morte à 44 ans en 1982.
C’est la profanation de la tombe de votre mère qui a vous a poussé à l’écriture ?
Sarah Biasini : J’avais envie d’écrire depuis longtemps et je sentais bien qu’il fallait commencer par des choses connues, notamment par le sujet maternel, car beaucoup de choses partent de l’enfance. C’est de cela dont j’avais vraiment envie de parler. Effectivement, quand on m’a appelée en mai 2017, pour me dire que la tombe de ma mère avait été profanée, cela a été déclencheur. Le pompon survient trois semaines plus tard, quand j’apprends que je suis enceinte ! C’était trop romanesque pour ne pas en faire un point de départ. Dans mon cas, même si on rechigne à ce genre de sujet, j’ai compris que le moment était venu de ranger certaines choses. Quand on a un enfant, on se demande ce que l’on va bien pouvoir lui raconter et lui apprendre sur l’histoire de sa famille. En réfléchissant au rapport à ma fille, je me suis forcément replongé dans mon rapport à ma mère.
Vous avez en quelque sorte mené un travail de deuil et de naissance simultanément ?
Sarah Biasini : Oui en effet. À certains moments, je me disais que je parlais autant à ma fille qu’à ma mère. Ce livre est effectivement un lien qui se tisse entre une grand-mère et sa petite-fille. En fait, le sujet, c’est l’amour maternel sous toutes ses formes. Celui qui est mort, celui qui est vivant, mais aussi l’amour maternel de substitution. Je n’allais pas m’inventer une autre mère pour faire un roman, d’où ce récit écrit à la première personne. Pour moi, il est clair que ce n’est pas une histoire de cinéma. Il est évident que la notoriété de ma mère est un facteur important, mais elle aurait pu être cantatrice ou avocate, cela n’aurait rien changé. C’était simplement ma mère. Et on ne s’arrête jamais d’être l’enfant de ses parents, même quand ils sont morts.
Comment vit-on la célébrité d’une mère dont on n’a finalement pratiquement pas de souvenir ?
Sarah Biasini : Ça se vit en fait assez simplement, car j’ai été très bien entourée par des gens sains que m’ont toujours parlé normalement de ma mère. C’est l’extérieur qui renvoie sans cesse à une image mythifiée qui moi, ne m’intéresse pas du tout. Voire qui me fatigue un peu car il serait ridicule de vivre en se disant : «Ma mère est un mythe.» Ce ne serait pas sain et je n’ai jamais ressenti cela.
Ce livre est aussi un voyage en réhabilitation de l’image d’une femme que l’on veut définitivement malheureuse et incomprise ?
Sarah Biasini : Pour les proches, pour la famille, cette image de femme perdue est insupportable ! Bien sûr, comme j’étais très jeune au moment de sa mort, on me laisse entendre que je ne peux pas avoir de souvenir et qu’il n’est pas possible de la défendre… Je ne sais comment le dire, mais je sais que ce j’écris sur elle est vrai. J’ai une intime conviction qui me suffit amplement. Pour autant, ce livre n’est absolument pas un livre de règlement de comptes ! Je ne vais pas me battre sur certains faits de sa vie. J’ai un peu lâché l’affaire.
La sortie d’un documentaire où elle confie naïvement ses états d’âme à une journaliste allemande vous a pourtant obligée à monter au créneau ?
Sarah Biasini : C’est un peu le devoir de survivants d’aller rétablir quelques vérités. Par rapport à ce film, mon intervention a été de prévenir que les spectateurs allaient voir en partie une fiction. En partie, puisque des choses sont vraies, la preuve cette interview. Et des gens ont profité de ces malheurs pour se faire de l’argent sur son dos, ce qui est juste insupportable. Donc, dans ce film tout n’est pas vrai. Cela me fait penser au débat actuel sur la série "The Crown". La question est : où commence la fiction ? Bien évidemment, entre nous, on se demande pourquoi elle s’est livrée comme ça, alors qu’elle était bien aguerrie à l’exercice…
Votre père aime à dire que la femme qu’il a aimée n’est pas celle dont parle la presse. Romy Schneider a été heureuse et gaie ?
Sarah Biasini : Tout à fait, je l’ai toujours entendu dire ça. Même si dans un couple, tout n’est jamais idyllique. Mes grands-parents m’ont toujours dit ça aussi. Une femme ne peut pas rire en permanence toute la journée.
Vous avez rencontré plusieurs figures de son cinéma, de Piccoli à Noiret en passant par Claude Sautet et Delon. Que vous ont-ils appris ?
Sarah Biasini : Je suis tenté de vous dire qu’ils ne m’ont rien appris… (rires). J’étais tellement émue de les rencontrer que je n’avais pas préparé une liste de questions. On ne savait finalement pas trop quoi se dire eux et moi, mais ces moments ont été extrêmement chargés et bouleversants. Ils m’ont tous confirmé qu’elle était très exigeante et très angoissée dans le travail. Michel Piccoli a dit que ma «mère, c’était son pote Et qu’elle était vraie. Plus vraie que ses rôles parfois». Je sais aussi qu’elle avait des côtés perfectionnistes, et chacun sait que les grands perfectionnistes sont des grands emmerdeurs dans le travail !
Dans votre métier de comédienne, le personnage Romy Schneider est-il encombrant ?
Sarah Biasini : Franchement non, car je ne suis pas en compétition. Vous savez, je suis parfois la première à observer des enfants d’acteurs et à me demander s’ils ressemblent à leur père ou à leur mère. Pour ce qui est du cinéma, je ne suis pas du tout à l’aise devant une caméra. Ce que j’aime, c’est être sur un plateau de théâtre.
Et en plus vous lui ressemblez, ce qui n’est pas forcément toujours simple…
Sarah Biasini : Oui, mais ce n’est pas grave en soi. Il y a pire dans la vie (rires) ! Il est certains que durant l’écriture de ce livre, qui a duré trois ans, j’ai été obligée de réfléchir à tout cela. J’y pense quand j’en parle, mais jamais dans mon quotidien. Je sais parfaitement que si ma mère ne s’appelait pas Romy Schneider, nous ne serions peut-être pas en train de faire cette interview mais en même temps, je me dis que ce livre est l’occasion d’avoir un rapport plus simple, de poser un peu les choses. L’actrice, c’est très bien, mais c’est ma mère qui m’intéresse.
Quel est pour vous le film qui ressemble le plus à Romy Schneider ?
Sarah Biasini : J’ai une vraie tendresse pour "César et Rosalie". Dans ce film, elle est très Rosalie. Mais je pense surtout qu’elle a dû mettre un peu d’elle-même dans tous ses films. Dans "Le Vieux fusil", elle est très Clara. Je ne peux donc pas dire qu’il y a un film qui lui ressemble particulièrement.
Propos recueillis par Philippe Minard