Source : Le Mag du Ciné - 09 décembre 2020
"L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot", le documentaire de Bromberg et Medrea, est le film qui restaure d’une manière intelligente et passionnante le film inachevé et mythique du cinéaste Henri-Georges Clouzot, l’Enfer. Il met en parallèle la folie malade du protagoniste, un homme rongé de jalousie, et celle, géniale, de Clouzot, aspiré par un tournage infernal invoquant tous les superlatifs.
Synopsis : En 1964, Henri-Georges Clouzot choisit Romy Schneider, 26 ans, et Serge Reggiani, 42 ans, pour être les vedettes de L’Enfer. Un projet énigmatique et insolite, un budget illimité, un film qui devait être un «événement» cinématographique à sa sortie. Mais après 3 semaines de tournage, le drame. Le projet est interrompu, et les images que l’on disait «incroyables» ne seront jamais dévoilées.
Ces images, oubliées depuis un demi-siècle, ont été retrouvées et elles sont plus époustouflantes que la légende l’avait prédit.
Elles racontent un film unique, la folie et la jalousie filmées en caméra subjective, l’histoire d’un tournage maudit et celle d’Henri-Georges Clouzot qui avait laissé libre cours à son génie de cinéaste. Jamais Romy n’a été aussi belle et hypnotique. Jamais un auteur n’aura été aussi proche et fusionnel avec le héros qu’il a inventé.
Serge Bromberg et Ruxandra Medrea réussissent ici une «recomposition» de l’oeuvre disparue, créant un nouveau film qui raconte l’histoire de ce naufrage magnifique et qui permet au projet d’exister enfin.
Lost in Garabit
Lorsqu’à la fin des années 2000 sort le documentaire de Serge Bromberg et de Ruxandra Medrea, "L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot", l’effervescence du microcosme cinéphile est totale. Voilà un film qui, après de longues considérations juridiques, donne enfin à voir tout ce qu’il pouvait du pharaonique projet de Clouzot, son film inachevé "l’Enfer", doté par les américains de la Columbia d’un budget quasi-infini. Initié en 1964, et avorté au bout de 3 semaines suite à l’infarctus du cinéaste, "l’Enfer" avait comme prétexte de raconter l’histoire Marcel Prieur (Serge Reggiani), un cafetier que le cinéaste installe au pied du viaduc de Garabit, le mari d’une splendide femme, Odette (Romy Schneider), un homme rongé par la jalousie. Clouzot était dans un état de stress permanent, avec trois équipes de tournage qui se relayaient non-stop. Après cet infarctus, la Columbia a arrêté les frais. L’Enfer n’a jamais vu le jour.
Marcel Prieur peut en effet être qualifié de prétexte, tant les ambitions de Clouzot étaient ailleurs. Le film de Bromberg et Medrea mettra en avant toutes les expérimentations -nombreuses- que le cinéaste pourra mener grâce à l’argent qui coulait à flots. Des scènes étaient tournées entièrement deux ou trois fois de suite sous des angles différents. Sous contrat avec la Columbia pendant quelques années, Romy Schneider, alors sortie de ses jupons impériaux, et déjà aguerrie à des cinéastes tels que Visconti ou Cavalier, est au centre du film. Elle se plie à toutes les exigences folles du cinéaste, portant par exemple du rouge à lèvres bleu à longueur de journée pour expérimenter des tournages avec des filtres spéciaux. A vingt-six ans, l’actrice est belle, rayonnante, conquérante, et libère avec l’Enfer tout un potentiel érotique qu’on ne lui connaissait pas. Clouzot lui demande des scènes lesbiennes avec Dany Carrel, des maquillages humides et suggestifs, du ski nautique en bikini à n’en plus finir. Elle dégage une aura positivement fracassante. Même si le tournage l’a rendue «dingue», elle s’est donnée corps et âme au film, et malgré tout son talent, l’actrice Bérénice Béjo (en compagnie de Gamblin dans le rôle de Reggiani), peine à restituer l’incandescence de l’actrice, lors de leur reconstitution de certaines scènes du film.
La folie de Prieur (on le voit en incipit penché sur Odette, un couteau dans la main), animale, viscérale, n’a d’égale que celle de Clouzot. Dans une époque, celle des années soixante, où toutes les explorations sont possibles, le cinéaste n’a pas lésiné sur l’aspect artistique pur de son projet, jusqu’à un point paroxystique. Il était notamment fasciné par l’art optique de l’époque, Vasarely ou Soto en tête, et il est vrai que le documentaire de Bromberg et Medrea montre que Clouzot n’a pas été avare de ce genre de plans op art. Toutes les fois où le spectateur de l’Enfer est censé se retrouver dans la tête malade de Marcel, Clouzot déploie des scènes étourdissantes, nouvelles, totales. Le contraste avec la beauté hypnotique d’Odette / Romy Schneider, dans des scènes plus calmes et joyeuses, inondées de soleil, n’en était que plus frappant.
"L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot" est un titre à double détente. Les trois semaines de tournage ont été en effet littéralement infernales pour tous, au point que Reggiani quitte les lieux en plein tournage et se fâche à jamais avec le cinéaste. Le tournage fut un enfer autant pour Clouzot que pour son équipe. Les cinéastes de "l’Enfer d’Henri Georges Clouzot", grâce à d’intelligents montages, réussissent à montrer à quel point on est passés à côté d’un véritable chef-d’œuvre, mais également à quel point il a dû être éprouvant de travailler sur certaines scènes. Beaucoup plus qu’un simple making-of, le film de Bromberg et Medrea est une re-création d’un film qui n’a jamais vu le jour. Il est un véritable hommage à Clouzot, à ses outrances visionnaires, et même, on peut se hasarder à le dire, à sa folie ; mais c’est également un vibrant hommage à Romy Schneider, une immense actrice qui a su constamment rebondir et bâtir une carrière aux facettes multiples et variées.
"L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot" – Fiche technique
Réalisateur : Serge Bromberg, Ruxandra Medrea
Scénario : Serge Bromberg
Interprétation : Romy Schneider (Odette -archive – ), Bérénice Bejo (Odette), Serge Reggiani (Marcel -archive – ), Jacques Gamblin (Marcel), Dany Carrel (Marylou -archive – ), Jean-Claude Bercq (Martineau -archive –), Mario David (Julien -archive -), André Luguet (Duhamel -archive -), Maurice Garrel (Dr. Arnoux -archive-)
Photographie : Jérôme Krumenacker, Irina Lubtchansky
Montage : Janice Jones
Musique : Bruno Alexiu
Producteurs: Serge Bromberg, Marienne Lère
Maisons de production : Lobster Films, France 2 Cinéma
Distribution (France) : MK2 Diffusion
Récompenses : Meilleur film documentaire, Les César 2010
Durée : 94 min.
Genre : Documentaire
Date de sortie : 11 Novembre 2009
France – 2009
Par Beatrice Delesalle
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