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Romy Schneider, le malentendu allemand
Dans une interview accordée au magazine Stern en mars 1981 alors qu’elle est en cure à Quiberon, l’actrice, qui ne va pas bien, se met à nu et règle ses comptes avec l’Allemagne.
Dans "3 jours à Quiberon" qui sort aujourd’hui, la réalisatrice Emily Atef a reconstitué, à partir des souvenirs du journaliste et des photos de Robert Lebeck, les circonstances de cette confession, dressant le portrait poignant d’une femme hantée par son passé.
Nous sommes en mars 1981. Romy Schneider est en cure de thalassothérapie à Quiberon. Une amie l’accompagne. Elle a 42 ans, vient de divorcer de son second mari Daniel Biasini, essaie de récupérer son fils David qui ne veut plus vivre avec elle et s’apprête à tourner son dernier film, "La passante du Sans-Souci". Un projet auquel elle tient beaucoup. Elle traverse un moment difficile, ce n’est pas le premier. Par amitié pour le photographe allemand Robert Lebeck, dont elle est très proche, elle accepte de recevoir un des journalistes vedettes du magazine Stern – il en deviendra directeur – Michael Jürgs.
De cette entrevue, il ressortira une très belle série d’images en noir et blanc d’une Romy au naturel prise sur les rochers en face de l’hôtel et une interview choc publiée dans l’hebdomadaire allemand le 23 avril 1981, un an avant sa mort. Les premières nous sont familières, la seconde beaucoup moins. En Allemagne, elle fait scandale. Sous le titre «En ce moment, je suis complètement cassée», l’actrice s’y met à nu et répond avec une sincérité désarmante aux questions provocatrices du journaliste. Outre-Rhin, la presse et le public n’ont jamais été très tendres avec la star. Ils ont vécu comme une trahison, le départ de leur "Sissi" en France et s’intéressent davantage à ses frasques qu’à sa carrière d’actrice dans des films que d’ailleurs ils ne voient pas. Le journaliste a-t-il abusé d’une femme fragilisée ou Romy Schneider a-t-elle voulu régler ses comptes avec un passé qui continuait de la hanter ?
Dans "3 jours à Quiberon", ce sont les circonstances de cette interview que la réalisatrice allemande Emily Atef a minutieusement reconstituées. «Un très court moment pour en dire long sur la femme qu’elle était, explique celle-ci. Je n’ai pas voulu en faire une victime. Cette interview, qu’elle a relue avant sa publication, c’est le besoin existentiel de dire aux Allemands : Je ne suis pas "Sissi", je suis une femme malheureuse de 42 ans.»
L’entretien fait remonter à la surface des souvenirs douloureux : elle revient sur son passé d’enfant-star obligée de quitter l’école à 14 ans, du «Sissi-world» qu’elle subissait, de ses relations avec sa mère, Magda Schneider, compromise avec le régime nazi et qui contrôlait sa carrière, de son beau-père dilapidant sa fortune dans des investissements hasardeux. Et de ses difficultés à construire une vie en dehors du cinéma et de ce rôle originel. «C’était aussi une femme libre qui a fui son pays par amour, aimait son métier, acceptait de poser dévêtue et a joué de nombreux rôles de victimes du nazisme, comme une forme d’expiation. Ce que les Allemands ne lui pardonnaient pas», poursuit la réalisatrice.
Le film aurait été impossible sans l’actrice capable d’interpréter le rôle. Ce sera Marie Bäumer, actrice allemande installée en France, dont la ressemblance troublante avec Romy Schneider est à l’origine du film. «J’avais toujours refusé de tourner dans un biopic. Je ne voulais pas être dans l’imitation. C’est mon ami le producteur Denis Poncet qui a eu l’idée de le centrer sur cette interview. Il ne s’agit pas de la faire renaître, c’est impossible, mais de raconter un voyage intérieur et ce moment où elle cherchait à revenir à la lumière.»
Emily Atef à qui le projet a été confié a rencontré tous les protagonistes et s’est plongée dans les quelque 600 clichés pris durant ces "trois jours" mis à sa disposition par Robert Lebeck pour être au plus près des faits. «Mais il y a ensuite ce que j’avais envie de raconter de cette femme. Réalité et fiction se mélangent. C’est du cinéma», assume la réalisatrice après les violentes critiques exprimées par la fille de l’actrice, Sarah Biasini, sur la supposée dépendance à l’alcool et aux médicaments évoquée dans le film. «Comme disait Picasso, poursuit-elle, l’art est un mensonge plus proche de la vérité que la vérité elle-même.»
Céline Rouden