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Article intérieur : * Il était une fois Romy Schneider
4,5 pages 15 photos
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- Source : Figaro.fr - 06 novembre 2009
Il était une fois Romy
Un incroyable documentaire exhume des images du film sulfureux et inachevé d'Henri-Georges Clouzot, «L'Enfer». L'héroïne en était Romy Schneider, dans son rôle le plus érotique. Flash-back sur une vie marquée par la grâce et le drame, les passions et les malentendus.
Romy, dans éL'important c'est d'aimeré, en actrice déclassée. Assise sur un type en sang, sadisée par une réalisatrice hystérique. Elle n'arrive pas à dire son texte, ce «Je t'aime» grotesque, impossible. Elle lève les yeux, implore un photographe joué par Fabio Testi : «Ne faites pas de photos, s'il vous plaît. Non, je suis une comédienne, vous savez. Je sais faire des trucs bien.» Le début du film d'Andrzej Zulawski nous revient toujours en flash, en écho. De ces mots fiers, suppliés, engorgés de chagrin et de fureur, filtre quelque chose d'incompris, d'inconsolable, de fatal, qui dépasse leur sens littéral. Car, en 1974, personne ne doute que Romy Schneider sache «faire des trucs bien». A 36 ans, c'est l'une des plus belles actrices du monde, des plus rigoureuses, des plus acharnées. Après avoir débuté à 15 ans dans le cinéma académique austro-allemand, elle s'est décollée de la guimauve de la trilogie des Sissi qui ont fait sa gloire adolescente pour tourner avec Otto Preminger, Orson Welles, Luchino Visconti, Claude Sautet. Ce n'est donc pas le cinéma qui inquiète Romy. Ni de se montrer nue, comme en témoignent les belles photos d'Eva Sereny ou de Giancarlo Botti. Plus loin dans le film, elle lâche «Je suis paumée» à un comédien désaxé joué par Klaus Kinski. Sur le tournage du chef-d'œuvre de Zulawski, qui lui vaudra le césar de la meilleure actrice, elle arrivait avec du champagne et du bordeaux dans un sac plastique et les partageait avec son partenaire Jacques Dutronc. Lors d'une prise, elle s'est écrasé le visage contre un mur de parking.
Elle est née Rosemarie Albach-Retty, en Autriche, à Vienne, le 23 septembre 1938, un an après le mariage de ses parents, Magda Schneider et Wolf Albach-Retty, deux gloires du cinéma allemand. L'enfant de la balle, très tôt surnommée Romy, a passé son enfance dans le chalet familial en Bavière, non loin de Berchtesgaden et duBerghof, le repaire d'Hitler. Magda Schneider plaisait à Hitler, au point d'être invitée au Nid d'aigle, comme on l'a vu récemment dans le documentaire Apocalypse. Les images montrent aussi la petite Romy jouant innocemment avec d'autres gosses au pied du chef nazi. Plus tard, elle soupçonnera Magda d'avoir couché avec Hitler.
Etrange jeunesse de Romy. Amputée d'un père parti avec l'actrice Trude Marlen. Cloîtrée dans un pensionnat. Flanquée d'une mère possessive qui rame pour retrouver des rôles après la chute du Reich. En 1953, pour ses débuts dans "Les Lilas blancs", d'Hans Deppe, Romy prend le nom de sa mère dans un film où Magda tient la vedette. Quand elle voudra se faire appeler Albach, il sera trop tard, le succès l'aura baptisée sous le nom maternel. Jusqu'en 1958, Magda apparaît souvent au générique des films de sa fille, notamment dans la série des "Sissi" d'Ernst Marischka, où elle joue la mère de l'héroïne. Romy sert la carrière de Magda, sous l'œil cupide d'un beau-père, Hans Blatzheim, qui aurait plusieurs fois tenté de coucher avec elle. La jeune actrice a donc des raisons d'étouffer, de ronger son frein.
Avec Delon, les rapports sont d'abord agressifs
De sous la très lourde perruque de Sissi dépassent des mèches rebelles. Elle déteste cette princesse sucrée aux antipodes de son caractère libre, foutraque, acide, déluré. Quand Pierre Gaspard-Huit lui propose "Christine", une adaptation de "Libelei", la pièce d'Arthur Schnitzler qui avait révélé sa mère, il semble que Romy n'en finisse jamais avec Magda. En fait, ce film va la libérer de sa famille, de l'Allemagne. Elle choisit sur photo son partenaire à l'écran : le jeune Alain Delon, qui vient l'attendre à sa descente d'avion à Paris. Au début, leurs rapports sont froids, agressifs, comme il sied aux félins. Ils s'apprivoisent vite. Magda sent le danger, elle aime l'ordre et Delon fait désordre, trop sulfureux. Romy s'en fout. Elle rejoint Delon en France.
Romy et Delon. «Les fiancés de l'Europe.» Des rôles en or dans la cage aux people. Mais ces deux-là sont trop viscéralement acteurs pour se la jouer dans la vie. Ils s'aiment comme on aime à 20 ans, bien et mal, mais comme on n'aime plus jamais ensuite. Sortant de Rocco et ses frères, Delon présente Romy à Visconti. Cadeau plus durable qu'une bague de fiançailles. Pour eux, l'aristocrate italien monte la pièce de John Ford, "Dommage qu'elle soit une p...". Romy retrouvera Visconti dans "Boccace 70 et "Ludwig ou le crépuscule des dieux". Un jour, elle nommera ses «quatre maîtres : Visconti, Welles, Sautet et Zulawski. Le plus grand est Visconti». Le couple se sépare en 1963. Delon a rencontré Nathalie, sa future femme. Il aurait écrit une lettre de rupture à Romy pendant qu'elle tournait à Hollywood, avant de lui laisser en guise d'adieu des fleurs, qu'elle aurait trouvées à son retour dans l'hôtel particulier qu'il avait déserté. D'après Delon, cette histoire de lettre et de bouquet est «complètement bidon». Façon de dire qu'en amour il n'y a ni bourreau, ni victime.
En 1964, débute le tournage de "L'Enfer", d'Henri-Georges Clouzot, avec Serge Reggiani. Un film sur la jalousie, inachevé et maudit, auquel Serge Bromberg et Ruxandra Medrea viennent de consacrer un passionnant documentaire. Les images retrouvées sont inouïes et révèlent le potentiel érotique d'une Romy fantasmée par les recherches en art cinétique du réalisateur. Elle vampe, allume, danse du ventre. On la voit même ligotée seins nus sur une voie ferrée. Sous le viaduc de Garabit, Clouzot s'enferre et déraille, tourne et retourne les mêmes scènes, se cogne un infarctus qui arrête les frais. Epuisé, Reggiani avait déjà quitté le tournage. A l'époque, Romy et Serge étaient très liés, elle débarquait souvent chez lui avec du whisky. Si l'actrice jouait en apnée, la femme tanguait, cherchait à s'arrimer. En 1966, elle se marie avec l'acteur et metteur en scène allemand Harry Haubenstock (dit Meyen), de quatorze ans son aîné. Leur fils David naît la même année. A Berlin, puis à Hambourg, Romy va jouer à l'épouse rangée, mais les crises couvent.
Delon est encore là, en ami. En 1968, il l'appelle pour jouer dans "La Piscine", de Jacques Deray, qui relance la carrière française de Romy. L'année suivante, c'est Les Choses de la vie, de Claude Sautet, avec Michel Piccoli. Sautet sait la regarder et parler d'elle : «Romy, c'est la vivacité même, une vivacité animale, avec des changements d'expression allant de l'agressivité la plus virile à la douceur la plus subtile.» Elle «dépasse le quotidien», prend «une dimension solaire». "César et Rosalie", "Max et les ferrailleurs", "Une histoire simple" feront d'elle le modèle de la femme française.
En Allemagne, elle est plutôt mal vue. Pour avoir signé en 1971, dans le magazine Stern, un manifeste féministe où elle reconnaissait avoir avorté, on la menace d'amende, de prison. On ne lui pardonne pas son exil ni qu'elle incarne une juive allemande fuyant les nazis dans "Le Train", de Pierre Granier-Deferre. En 1975, Romy retournera le couteau dans la plaie en jouant Clara dans "Le Vieux Fusil", de Robert Enrico. La scène du viol de Clara par les SS sera censurée outre-Rhin. En la tournant, l'actrice avait rageusement balancé un comédien dans l'escalier.
Au début des années 70, son mariage se désagrège. Elle sort avec le somptueux producteur américain Robert Evans, elle se passe du Jacques Dutronc en boucle, elle part au Maroc avec Bruno Ganz. Dans la ronde des liaisons erratiques surnagent des amitiés fortes.
Un rire qui saute au visage
Elle fête ses anniversaires avec le scénariste Pascal Jardin, prodigieux écrivain de La Guerre à neuf ans. Au bout du rouleau avec Meyen, elle divorce en 1975, et se remarie vite avec Daniel Biasini, son ancien secrétaire, de onze ans son cadet. Leur fille Sarah naîtra en 1977.
Sur nombre de photos, le rire de Romy saute au visage. Mais, comme le rappelle Emmanuel Bonini, l'un de ses biographes, en citant Romain Gary : «Le rire, c'est parfois une façon qu'a l'horreur de crever.» L'héroïne de "Clair de femme", adapté par Costa-Gavras, rira de moins en moins, et l'horreur sera complète. En 1979, Meyen se pend avec une écharpe blanche en Allemagne. Dans "L'important c'est d'aimer", le comédien germanique et désaxé incarné par Kinski portait une écharpe blanche. En 1980, à la cérémonie des Césars, elle critique cruellement Miou-Miou qui n'est pas venue chercher son trophée. Sur "La Banquière", de Francis Girod, elle affiche à la porte de sa caravane : «Entrée permise seulement à mes amis : Dany, Jean-Claude, Francis et quelques autres aussi, mais j'suis discrète et j'suis méfiante. Romy.» Elle jugule l'angoisse à grandes doses d'alcool et de médicaments. Son union avec Biasini, qui vient de coécrire Un mauvais fils, de Sautet, agonise. En juillet 1981 survient le drame ultime : son fils David, 14 ans, s'éventre en escaladant la grille de la maison des parents de Biasini et succombe peu après. Dévastée, Romy doit encore affronter les paparazzis. Chaque photo volée vole son âme. Mais elle a tant d'âme. Elle s'accroche au projet qu'elle a initié : "La Passante du Sans-Souci", un roman de Joseph Kessel, librement adapté par Jacques Rouffio. Elle y retrouve Michel Piccoli. C'est l'histoire d'une femme qui veut sauver son mari des nazis à Berlin et qui protège un enfant juif à Paris. L'enfant ressemble à David. Elle tourne au bout du chagrin. Cette prestation somnambulique, éblouissante, sera la dernière. On ne la verra pas dans le rôle qu'elle ambitionnait, celui d'Ulrike Meinhof, la terroriste allemande d'extrême gauche, compagne d'armes d'Andreas Baader.
La mort au bout du chagrin
«Qu'on me laisse enfin tranquille», c'est le message qu'elle adressera lors d'un entretien télévisé avec Michel Drucker où, vibrante et laminée, elle revient sur la profanation médiatique de David : «Qu'on se déguise en infirmier pour photographier un enfant mort... (...) Où est la morale ? Où est le tact ?» La morale et le tact conduiront le magistrat Laurent Davenas à ne pas ordonner d'autopsie le 29 mai 1982, quand Laurent Pétin, le dernier compagnon de Romy, aujourd'hui producteur, la retrouvera sans vie au petit matin dans l'appartement qu'ils partagent à Paris. Abus accidentel d'alcool et de médicaments ? Suicide ? Maladie ? Qu'importe. L'expression «mort naturelle» convient bien à celle qui semblait si lasse de vivre. Elle repose dans un cimetière des Yvelines. Sous le nom de Rosemarie Albach. Sur sa tombe, on aurait pu graver ces mots de Zulawski : «Elle payait de sa vie ce qu'elle montrait de beau à l'écran.»
Jean-Marc Parisis