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Article intérieur : * Sarah Biasini, fille de Romy Schneider et mère d’Anna, le carrefour d’une vie
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Source : Ouest France - 17 décembre 2021
Sarah Biasini, fille de Romy Schneider et mère d’Anna, le carrefour d’une vie
Sa mère, Romy Schneider, est décédée quand elle avait 4 ans. Elle-même est maman depuis trois ans. Une histoire de mère, de fille, qu’elle livre avec pudeur et émotion.
Ne lui parlez pas de Romy Schneider comme d’une icône intouchable, régnant au firmament des stars… "Je m’en fiche de tout ça. Moi, c’était ma mère !" Une pirouette provocante, un pied de nez au drame d’une petite fille privée trop tôt de sa maman.
Sarah Biasini, 43 ans, comédienne, surtout au théâtre, portait depuis longtemps en elle, l’envie d’écrire. Il lui fallait sans doute un déclic. Elle en a connu deux.
"La tombe où reposent ma mère et mon frère a été profanée en 2017. Je me suis occupée de la faire réparer. J’étais choquée de ce geste incompréhensible. Mais heureuse de faire ça pour ma mère. Quelque temps plus tard, je suis tombée enceinte alors que j’avais du mal à avoir un enfant".
La mort qui se rappelle à la vie. La vie plus forte que la mort. Quand on est marquée dès son plus jeune âge par la disparition d’une mère, difficile de ne pas y voir un signe.
"Oh ne vous inquiétez pas, je ne suis pas obsédée par les signes et les prémonitions ! Mais là quand même, il y avait une forme de poésie et un joli démarrage de livre !», dit-elle en souriant avec une franchise éclatante. Et quand elle sourit… On dirait Romy. Troublant. "Cela fait partie de mon héritage… C’est une chance".
L’héritage ! Une actrice dont on lui parle sans cesse quand, elle, ne voit que la mère. "En écrivant ce livre, je voulais raconter comment une famille vit avec ses morts. Les regarder autrement. Je voulais aussi parler de l’amour maternel".
Une histoire d’amour et de mort
La mort… Elle traverse le livre comme une petite musique d’inquiétude, d’angoisse parfois. «Aïe, elle est si présente, vraiment ? (Elle réfléchit, en silence). J’ai écrit ce livre en me disant qu’il fallait aller au bout des pensées les plus dramatiques. Quand on a perdu sa mère aussi jeune que moi, on est forcément plus sensible. Je m’observe regarder ma fille grandir, craindre la crise cardiaque à chaque fois que je la perds de vue… Alors, je lui ai dédié ce livre en lui promettant de ne pas trop l’étouffer !»
De ne pas trop lui dire que parfois elle a peur de mourir jeune comme sa mère, ou que son enfant disparaisse violemment comme David, le premier enfant de Romy Schneider, mort accidentellement à l’aube de ses 15 ans. Un drame effroyable dont l’actrice ne se remit jamais. «Parfois, je l’embrasse dix fois plus en me disant, il faut qu’elle se souvienne de mes baisers…»
Comme un pont entre deux rives, Sarah Biasini apprend à aimer ses morts et à faire grandir Anna, sa fille de bientôt 3 ans. «Écrire ce livre, c’est lui raconter d’où je viens, l’histoire de sa famille. Je ne savais pas comment m’y prendre autrement. Lui dire le lien avec ma mère. Comment moi, je m’en fiche de l’actrice !» Elle est sans doute la seule personne à pouvoir dire ça tout en l’aimant profondément. «Mais peut-être que lorsqu’il s’agit d’elle, j’ai toujours 4 ans et demi. On a l’âge de ses traumatismes…» La phrase sort naturellement dans la conversation, comme une révélation. Une évidence soudain comprise qui pourtant se lit entre les lignes d’un livre intime et sincère.
Partager sa mère
Comment partager sa mère avec le reste du monde ? Comment trouver sa place à l’ombre d’une icône planétaire aimée pour son talent, adulée pour sa beauté sidérale, enviée pour son histoire d’amour avec Alain Delon ? Comment garder les images des sourires et de la joie en famille ou sur les plateaux de Claude Sautet et tenter d’oublier la fin dramatique ? Se souvenir des belles choses.
Et pourquoi devenir soi-même actrice ? «Ai-je voulu chercher ma mère à travers cette profession ? C’est ça que vous voulez savoir ? Sans doute un peu. Je crois surtout que l’on est toujours intéressé par le métier de ses parents. Et puis, j’adore jouer au théâtre alors…»
Comme tous les comédiens, elle est privée de cette joie. Un foutu virus a tiré les rideaux. «Vivement que l’on puisse retrouver les planches et le public.»
Tardivement, elle a rencontré les acteurs et réalisateurs qui ont marqué la carrière et la vie de sa mère. «J’ai mis du temps à leur parler. J’avais peur d’être comme un petit chiot qui s’accroche à une jambe en disant : Hey parlez-moi de ma mère, parlez-moi de ma mère. Je ne voulais pas les « emmerder » avec mes questions, j’avais peur de pleurer…» Et elle a pleuré après avoir discuté avec Michel Piccoli.
Et Alain Delon ? «On a peu parlé ensemble… Je le regrette. Mais nos deux pudeurs sont très fortes. J’avais sans doute aussi peur de mes questions, des réponses… Les enfants ne doivent pas tout savoir sur leurs parents. Ils ont droit à leur intimité.» Même quand il s’agit d’une histoire qui a fait la une des journaux.
Si elle ne veut pas voir le mythe qui enveloppe la vie de sa mère, elle comprend l’engouement qu’elle a pu susciter. «L’époque, les années 1970, la libération de la femme… Cette collaboration incroyable avec Claude Sautet où ils sont tous les deux au top de leur savoir-faire. Sa beauté incroyable… Et puis elle a joué tellement de rôles différents que beaucoup de femmes se sont identifiées à elle. Les femmes voulaient être sa copine et les hommes… Un peu plus.»
Une voilette et une coupe de champagne
Elle refuse de s’inscrire dans cette envie de réécrire en permanence l’histoire d’une légende, mais elle reste vigilante. Quand on veut s’approprier l’histoire de sa mère sans la respecter, Sarah montre les crocs, se fâche. Elle a vertement critiqué le film "Trois jours à Quiberon", et ne lui parlez surtout pas du livre et du documentaire de la journaliste allemande Alice Schwarzer…
Elle ne comprend pas non plus pourquoi la scène du film "L’important c’est d’aimer" repasse si souvent dans les médias. "On y voit ma mère, pleurant, à moitié nue, chevauchant un homme avec le maquillage qui coule… C’est très voyeur en fait. Moi, je préfère la voir dans "Le vieux fusil" quand elle se retrouve face à un Philippe Noiret amoureux d’elle. Elle y est magnifique quand elle lève sa voilette et trempe les lèvres dans une coupe de champagne". On la comprend, avec le cœur qui bat…
Par Philippe LEMOINE