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Disparu le 18 août 2024 à l'âge de 88 ans, l’acteur légendaire, compagnon de route de Paris Match, figure évidemment en une de notre numéro spécial. 67 pages pour revoir et revivre la vie extraordinaire d’Alain Delon.
Dans un numéro qui lui est presque entièrement consacré, Paris Match vous propose de revoir les images iconiques d’Alain Delon, de relire son enfance, ses frasques, ses débuts au cinéma et toutes les étapes qui ont marqué sa longue vie. L’acteur laisse derrière lui un héritage puissant.
Sommaire :
23h56 dans Presse - 2024, Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (0)
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Source : Paris Match - 05 août 2022
Elles nous ont tant fait rêver. Leur mort a été un coup de tonnerre. De Monaco à Hollywood en passant par Buckingham Palace, retour sur ces jours qui les ont vues disparaître. Cette semaine, Romy Schneider, morte le 29 mai 1982.
Elle est allongée par terre, ou sur son lit, aucun témoin ne s’en souvient. Le seul qui doit savoir, Laurent Pétin, son dernier amant et son dernier ami, se tait depuis quarante ans. Il garde dans son cœur le souvenir de ce moment-là, atroce et irréel comme tous les instants qui suivent la mort. On peut lui donner raison. En ne disant rien par respect pour elle, il laisse planer le mystère, flotter le voile d’Isis.
Elle est allongée par terre, sur la moquette triste, ou sur son lit défait, peu importe. Il fait beau ce matin de printemps, mais la lumière pénètre mal dans cet appartement moderne, "sans âme" d’après les témoins nombreux à s’entasser ici. Plusieurs voitures de police attendent sur le trottoir de la petite rue Barbet-de-Jouy devant le numéro 11, un immeuble 1970 avec balcons en acier brossé et Plexiglas. Depuis l’accident de David, son fils de 14 ans, l’année précédente, Romy Schneider a changé vingt-huit fois de domicile; fuite en avant. La mort lui avait fixé rendez-vous, ici, dans ce dernier "camping" prêté par le producteur Tarak Ben Ammar. Sous les arbres du musée Rodin où les pigeons roucoulent d’ordinaire, on entend des bruits de voix, des ronronnements de moteur inhabituels.
Dans la chambre éclairée par une lampe de chevet bien qu’il soit 10 heures, deux hommes sont occupés à une troublante cérémonie. Ils déshabillent cette femme. Ils mettent à nu ce corps fatigué par la vie, marqué de plusieurs cicatrices. Elle a les yeux fermés, son visage est gris, les yeux aigue-marine ne brilleront plus jamais, une déesse morte. Sur les murs, des portraits de David, à son chevet, une bouteille de bordeaux vide et un verre. Le plus jeune des deux se prénomme Laurent, comme l’amant de la star. Il est très ému, ses mains tremblent un peu. Aujourd’hui encore, il évoque cette scène avec une sorte de curiosité naïve. Violaine de Montclos, dernière biographe, l’auteure du sensible "Adieu Romy", s’étonne encore elle-même de la vision "particulièrement floue et romantique" de l’officier de justice.
Suicide ou malaise cardiaque ? Laurent Davenas est alors substitut du procureur de Paris, chargé de la section crimes et délits flagrants. D’ordinaire, il ne se déplace pas pour un suicide, mais là, il s’agit d’une star. Après Pétin, c’est ce second Laurent qui achèvera de verrouiller le secret en refusant l’autopsie. Une décision motivée par le désir de laisser intact le corps de celle qui s’est appelée tour à tour Sissi, Marianne, Lily ou Rosalie mais que les Français appellent tendrement "Romy".
Une voix d’homme résonne dans la pièce à côté. Une voix connue, flic ou voyou? Les deux, mon capitaine, c’est celle d’Alain Delon. L’ex-fiancé est hystérique, il accuse les socialistes au pouvoir et le fisc français d’avoir cassé sa Puppelé ("petite poupée"). Il a raison et tort à la fois : le redressement fiscal colossal (5 millions de francs de l’époque) dont elle est l’objet n’a sûrement pas aidé Romy Schneider à voir la vie sans souci, mais les persécutions datent d’avant l’élection de Mitterrand. L’enquête avait commencé en 1978. C’est Giscard, ancien inspecteur des finances, qui avait lancé la mode de la chasse aux stars dès 1975.
S’est-elle suicidée ? Elle ne s’était jamais remise de la disparition de son fils, David, atrocement empalé par accident sur les grilles de la maison familiale de son mari. Le jour de la mort de Romy, tout le monde le disait, la rumeur mais aussi les radios, même si Christine Ockrent, le soir même du 29 mai 1982, au 20 heures d’Antenne 2, avait corrigé le tir, accusant un accident cardiaque dû à sa mauvaise hygiène de vie (mélange de barbituriques et d’alcool). Quarante ans après, on se montre encore plus prudent, voire arrangeant ; on enjolive. Surtout en France, contrepoint de la presse teutonne, toujours trash avec elle. L’alcoolisme de Romy, sa dépendance aux somnifères et aux amphétamines (du Captagon fourni par la pittoresque Marlène Dietrich) sont gommés au profit de son mythe. En 2018, lors de la sortie de "3 jours à Quiberon", beau film allemand mettant en scène la déchéance de Sissi, Sarah, sa fille, a protesté.
Elle s’est appelée tour à tour Sissi, Marianne, Lily ou Rosalie mais, pour les Français, elle était Romy.
Pour elle, il s’agit d’une fiction et non d’un biopic. Rien de vrai dans l’alcoolisme de sa mère, des «fantasmes» de gens qui l’ont croisée une fois. À en croire "Romy, femme libre", dernière hagiographie en date, un documentaire bien illustré, bien pensé et bien-pensant, présenté cette année à Cannes, l’héroïne de "La passante du Sans-Souci" était une femme blessée mais forte, elle avait des projets. À voir son visage marqué des derniers jours, on peut en douter. Romy était une séductrice, elle n’avait pas l’arrogance politique, l’arrivisme d’une Simone Signoret ou d’une Jeanne Moreau. Mais l’Allemagne en elle, naturelle et puissamment organisée malgré cette fuite en avant, était inoxydable. Peut-être seraitelle devenue au côté de Magda la brune, sa mère qui lui survécut longtemps, en Bavière ou en Suisse, la «mémé cultivant son jardin», ce personnage de Colette qu’elle évoquait moitié par humour noir avec Michel Drucker lors de sa dernière interview, dans Paris Match, un mois avant sa mort. À cet égard, la dernière phrase de l’interview est limpide : "Moi, j’aime les hommes, je ne peux vivre sans eux […], si le succès s’arrêtait je connaîtrais une immense solitude". Amoureuse des hommes, fascinée par leur voyouterie de chat sauvage (Delon bien sûr, mais aussi Biasini, son second mari, père de sa fille), ce garçon manqué qui payait la note au restaurant, fumait comme un pompier et marchait comme un soldat est morte en femme-objet comme Marilyn.
Depuis ses débuts en 1953, l’enfant-star avait connu plusieurs carrières, beaucoup d’amour et de haine. Il y avait eu la sucrée "Sissi", la tentative américaine (oubliée, à part la pochade "What’s New, Pussycat?" avec Peter O’Toole), un passage réussi chez Orson Welles («Le procès») et enfin l’apothéose grâce au rôle de Marianne dans "La piscine" et l’enchaînement des succès de Claude Sautet. En devenant actrice française, la princesse de conte de fées était devenue star. Romy ne forçait pas le respect dans un monde d’hommes, tour à tour cinéastes manipulateurs ou comédiens simplement grossiers. Quelques années après la fin, Jean-Luc Godard dit à Alain Delon au moment du tournage de "Détective" que "Romy s’était suicidée parce qu’elle n’avait pas fait un seul bon film", contrairement à Delon qui en aurait (d’après le même) trois à son actif («Rocco et ses frères» de Visconti, "L’éclipse" d’Antonioni et "Monsieur Klein" de Losey). C’était volontairement cruel pour elle, pour Sautet, Zulawski, Deray, Clément et les autres, et surtout injuste à considérer le plaisir de certaines scènes des "Choses de la vie" ou de "La piscine".
Aujourd’hui, quand les films de Romy datent d’aussi longtemps que ceux du cinéma muet à son époque, les images comptent plus que la valeur ou la prétention du réalisateur. À la différence des stars hollywoodiennes du muet, Romy est incarnée, comme Bardot, plus encore peut-être. Le "Gratte-moi le dos, il n’y a que toi qui sais…", réplique inaugurale de "La piscine" de Deray, n’est-il pas un hommage au "Tu les aimes, mes fesses ?" lancé par Brigitte au début du "Mépris". À la revoir sur Netflix bouger dans ses atours de 1969- 1970, on ne peut qu’être saisi par la densité plastique de sa chair, cette splendeur charnelle, l’extraordinaire limpidité de ses yeux (on capte derrière l’iris l’âme prisonnière) et son jeu diabolique. Le couple – une bête à deux dos – qu’elle forme avec Delon et celui – plus joué, plus trouble – qu’elle mime magistralement avec Piccoli contiennent, à bien les regarder au ralenti, toute l’essence de la personne.
Il existe un petit film d’actualité de juillet 1968, Delon venant chercher Romy à l’aéroport de Toulon, comme naguère il était venu l’accueillir à Orly, débutant poussé par les producteurs avec un gros bouquet de roses rouges (elle l’avait trouvé risible) ; là non, c’est la revanche du "Félin" devenu superstar qui vient repêcher sa poupée. Vêtu d’une chemise noire et d’un blouson de vinyle noir, les cheveux noirs, il est sublime, s’est fait celui que Romy désirait être. Dans cette séquence, l’essence démoniaque des deux êtres est interchangeable. Voilà l’androgyne ! Androgyne Romy ? On se surprend à se demander ce que cette partisane de l’avortement aurait pensé de la PMA pour femme seule. Du mal sûrement, car elle prenait volontiers le parti des hommes, malgré des déceptions nombreuses dans ce domaine. On en a fait récemment à Cannes une "icône" du féminisme selon le terme consacré, erreur historique d’un monde du cinéma devenu si puritain et moral en comparaison de celui d’il y a quarante ans.
Schneider signifie "tailleur" en allemand comme "Tailor" en anglais : Richard Burton, mari d’une fameuse Elizabeth "Tailleur", lui taille un costume dans son journal. À un ami qui lui dit de se méfier sexuellement d’elle sur le tournage de "L’assassinat de Trotsky", l’ivrogne gallois répond : "C’est plutôt Jo Losey qui va devoir garder les mains sur sa braguette. Après tout, c’est lui le réalisateur". Et l’autre de renchérir : "Fais gaffe à Romy, c’est le genre à venir un jour où elle ne tourne pas sous prétexte de t’observer travailler parce que tu es un grand acteur". L’échange en dit long sur la mentalité virile et les rapports hommes-femmes en 1970. Il fallait aux femmes, même monstres sacrés, composer, ruser, se laisser prendre tout en méprisant et en étant quand même un peu séduites ou du moins en le faisant croire. Putain respectueuse. On voit cette violence partout dans les mémoires de Bardot et dans les yeux de Romy. En lisant cela, je pense à Lily, la prostituée de "Max et les ferrailleurs". Une robe rouge, un trench ciré, du Saint Laurent haute époque, un Sautet un peu corniaud, du sous-Melville, mais elle, une fois de plus, elle irradie.
"Au cinéma, je sais toujours quoi faire, dans la vie jamais", disait-elle. Première scène où Piccoli la monte à l’hôtel. Il paye "30 000 balles", 300 francs pour rien, "passer un moment". Elle trouve ça nul, elle méprise un peu ce drôle de client, mais en même temps, sa curiosité est aiguisée. C’est faux, jamais une prostituée ne pense comme ça, mais c’est vrai parce que c’est elle qui se donne derrière Lily. Pour "trente mille balles" (50 euros), on voit Romy toute nue, même (surtout) parce qu’elle n’enlève pas sa robe. Magistral aussi, le changement d’humeur à l’égard de son amant gentil tocard et même pas maquereau (Bernard Fresson), Sautet est bien supérieur à Godard pour filmer les mille nuances du mépris féminin. Ou alors est-ce Romy? Elle a les yeux là où Bardot se contente d’une moue. "Les gens qui donnent l’impression de pouvoir fondre en larmes en même temps qu’ils rient de bon cœur ont beaucoup de charme", disait à propos d’elle un écrivain français.
Elle disait : "Au cinéma, je sais toujours quoi faire, dans la vie jamais". La même Bardot avouera après sa mort : "Dès le premier soir où nous avons discuté et sympathisé à Saint-Tropez au restaurant Le Vieux Moulin, elle m’a paru d’une lucidité farouche par rapport à ce métier et aux gens qui l’exerçaient. C’est cette lucidité qui nous a rapprochées et réunies et qui a fini par la détruire".
Bardot la frimeuse aimait croquer les minets (et aussi ses "amazones" comme elle surnommait la petite bande de filles qui l’entourait). Romy la sensuelle goûte les mâles un peu plus agressifs, tel Daniel Biasini, le second mari mal connu et vilipendé par la presse allemande. En 1982, après les obsèques, sonne l’hallali. Le magazine "Stern" s’occupe de régler les comptes de Romy.
D’après cette enquête, la princesse ruinée de "Sissi" (2300 francs suisses en solde créditeur le jour de sa mort) aurait passé sa vie à se faire escroquer par les hommes. Faussement compatissant, le journaliste déballe le linge sale, "Daddy" Blatzeim, le beau-père abusif et escroc, et les deux maris. Le premier, Harry Meyen, dramaturge suicidé (le père de David), prend cher. Il aurait obtenu au moment du divorce 1400000 deutschemarks qu’il aurait placés au nom de David. Le second (et qui a le malheur d’être français, brun et beau gosse), encore plus. À en croire "Stern" repris par Paris Match, les trois hommes auraient vécu aux crochets de la gagneuse. Avec un traitement particulier pour le père de Sarah. Paris Match accorde un droit de réponse au veuf qui envoie sa feuille d’impôts. Le fisc lui réclame un peu plus de 9 millions de francs. Dont les fameux 5 millions de pénalités pour suspicion de fraude fiscale qui ont fait bondir le félin Delon le jour de la veillée funèbre.
Marc Lambron, de l’Académie française, était jeune conseiller d’État à la fin des années 1980. C’est lui qui a été chargé de juger en dernière instance des poursuites du fisc, et il me donne la résolution de cet imbroglio financier. Quelques années après la mort de sa femme, Daniel Biasini a gagné contre le fisc, qui n’a pas pu prouver la réalité de la fraude. Lambron a vu les pièces du dossier : "Pour un jeune romancier, c’était extrêmement émouvant de manier les notes de la Tour d’Argent et autres reliques de Romy Schneider, plus de cinq ans après sa mort".
Par Simon Liberati
23h56 dans Presse - 2022, Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (0)
Source : Paris-match - 16 février 2021
Le tendre rendez-vous de Romy Schneider et Alain Delon
Il y a 60 ans, Romy Schneider et Alain Delon, jeunes tourtereaux, avaient posé pour notre photographe lors d’une séance pleine de tendresse… Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.
Début 1961, Romy Schneider et Alain Delon forment le couple le plus en vue du cinéma européen. Elle, à 22 ans, doit encore faire oublier Sissi, mais lui, 25 ans, touche à son apogée artistique. Avec Luchino Visconti, Delon vient de tourner «Rocco et ses frères», Prix Spécial du Jury à Venise, et s'apprête à jouer «Le Guépard».
C’est le moment que choisit l’acteur pour se lancer un défi de taille, lui qui est venu au métier un peu par hasard : s'essayer au jeu suprême et monter sur les planches. Sur scène et toujours sous la direction du réalisateur italien, Alain Delon va interpréter avec Romy Schneider une pièce sulfureuse du théâtre élisabéthain, «Dommage qu'elle soit une putain», de John Ford.
Notre photographe Philippe Le Tellier avait retrouvé Romy Schneider et Alain Delon au Théâtre de Paris pour des répétitions avec le maître Visconti, avant de suivre le couple de tourtereaux dans son hôtel particulier de l'avenue de Messine, pour une séance pleine de simplicité et de tendresse…
Voici le reportage consacré aux répétitions de Romy Schneider et Alain Delon au Théâtre de Paris, tel que publié dans Paris Match en 1961…
11h17 dans Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (0)
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Source : Paris Match.fr - 10 janvier 2021
Sarah Biasini : "Je considère que ma fille est un cadeau du ciel, où ma mère est…"
Dans « La beauté du ciel », la fille de Romy Schneider raconte la comédienne et la femme qu’elle a trop peu connue. Tout en s’interrogeant sur son propre parcours. Le livre touchant de cette rentrée.
Paris Match : On vous proposait depuis longtemps d’écrire sur votre mère ?
Sarah Biasini : Pas du tout ! Et au départ je ne voulais pas “écrire sur ma mère”. Encore moins régler mes comptes. Mais, comme tous les enfants, j’ai voulu aller m’entretenir avec des gens qui l’ont connue. Il se trouve que ces gens sont Claude Sautet, Michel Piccoli, Alain Delon, mais ce n’est pas le cinéma et la notoriété qui m’intéressent. C’est la mort, l’absence, le souvenir et ce qu’on fait avec. J’ai essayé d’écrire un livre plus large que ma simple histoire. Car on n’arrête jamais d’être la fille de sa mère. On n’arrête jamais d’être l’enfant de ses parents, même quand on devient parent à son tour. On est toujours la petite fille, toujours ! C’est une problématique universelle.
Le réel point de départ de ce livre est la profanation en 2017 de la tombe de votre mère, suivie de près par votre grossesse à 40 ans. Vous écrivez : "Le laps de temps entre ces deux journées profanation-procréation ne peut qu’exciter mes croyances, mes pensées magiques… Sans contraceptif depuis dix ans, c’est maintenant que ça marche ? Y aurait-il une cause et un effet ? Future chérie, dis merci à ta grand-mère."
Sarah Biasini : Oui. Cette profanation m’a beaucoup émue et je n’ai pas compris pourquoi sur le moment. Je trouvais ça suffisamment romanesque pour que ce soit le point de départ du livre. Depuis longtemps, j’avais envie de prendre la plume, je tournais autour de sujets de fiction tout en sachant qu’au fond il fallait que j’écrive sur ce que je connaissais le mieux : l’absence. Lorsque j’ai appris que j’étais enceinte, j’ai compris qu’il était là mon sujet : comment devenir mère quand on a soi-même perdu sa mère et quel genre de mère on devient quand on a connu la mort ? Tout l’intérêt a été non pas de romancer parce que tout est vrai, mais de trouver une façon littéraire de le raconter. J’étais obsédée par la forme plus que par le fond.
C’est la raison pour laquelle vous l’avez intitulé “La beauté du ciel” ? Il s’agissait de trouver un sens à la tragédie ?
Sarah Biasini : Oui. J’avais tous ces thèmes : les morts, la naissance, le souvenir, la maternité, la famille… et je me suis dit que ce serait bien d’essayer de faire du beau avec du laid. Je considère que ma fille est un cadeau du ciel, où ma mère est… C’est toujours plus beau de voir les choses de façon un peu mystique. J’ai choisi de le vivre comme ça.
Vous racontez comment vous avez longtemps eu du mal à partager avec le public le souvenir de votre mère, à quel point même le prénom Romy donné à des enfants vous agressait, comme une dépossession. Dans le même temps, vous avez posé pour de nombreuses couvertures de magazine à l’adolescence… C’est vous qui vouliez les faire ?
Sarah Biasini : Non, paradoxalement, c’était pour être un peu tranquille parce qu’il y avait des photographes qui traînaient devant chez moi, donc on faisait des photos de temps en temps… Mais moi, l’actrice, je m’en foutais. A chaque fois qu’on me parlait d’elle, ce que j’entendais c’était surtout qu’elle était morte. Et on n’a pas envie d’y penser tout le temps parce qu’on n’a pas envie d’avoir du chagrin tout le temps. Donc, par instinct de survie, je ne m’appesantissais pas. Il n’y a pas 46 000 façons de vivre avec ça. Soit on est complètement dépressif, on finit avec des cachets et des séjours en maison de repos, soit on décide de vivre normalement. Raconter m’a permis de faire un pas de côté et de prendre un peu de recul…
Ce qui est troublant dans le livre, c’est le transfert qui s’opère entre elle et vous. D’autant que vous avez reproduit le même schéma familial : un grand garçon d’une précédente union de votre compagnon et cette petite Anna…
Sarah Biasini : [Elle rit.] Allô docteur ! Petite, je n’ai jamais eu de manque de ma mère parce que j’ai eu toute la tendresse, tout l’amour, tous les bras, toutes les bouches qui m’embrassaient, qui me touchaient… C’est génial parce que, finalement, c’est de tendresse dont un enfant a besoin… Le manque vient plus tard, mais c’est plutôt un manque d’adulte, une curiosité de femme à femme : quelles auraient été nos conversations ? Quels auraient été nos rapports ? Et puis le fait de devenir mère, d’avoir ma fille sous les yeux, c’est comme si soudain j’étais renvoyée à mon statut de petite fille. Par moments, je ne savais plus si j’étais la mère de ma fille, si ma fille était ma mère, c’était assez troublant. D’autant que, sans chercher que ma fille soit mon sosie, elle me ressemble et je trouvais qu’elle ressemblait aussi à ma mère… c’est beau. Mais je me suis fait peur aussi quelques fois. En la regardant ou en essayant de chercher des souvenirs personnels à son âge à elle.
Vous décrivez votre manière de redouter sans arrêt l’accident, la mort de votre fille comme la vôtre… Par peur que tout se reproduise. Ce livre, c’est aussi une façon de laisser un témoignage de votre amour “au cas où” ?
Sarah Biasini : Bien sûr. Toutes les mères ont peur des accidents… Plein de femmes peuvent avoir ces angoisses-là, mais moi encore plus car je sais qu’elle peut mourir avant moi et que, moi, je peux mourir demain.
Vous publiez ce livre à l’âge qu’avait votre mère lorsqu’elle a disparu... Est-ce vraiment un hasard ?
Sarah Biasini : Oui… J’ai commencé à écrire lorsque j’étais enceinte. Le temps d’écrire, ça tombe comme ça.
Vous allez la dépasser, vieillir plus qu’elle et donc braver la fatalité. Vous y pensez ?
Sarah Biasini : Forcément on y pense. On se dit : “C’est jeune pour mourir.” Je montre des photos à ma fille en lui disant : “Voilà, c’est mamie, c’est la maman de maman.”
Il y a une très jolie scène dans le livre quand vous tombez sur “Sissi” à la télé et que vous dites à votre fille : “Regarde, c’est mamie !” et qu’elle ne comprend pas, pensant que vous parlez de votre grand-mère paternelle qui vous a élevée…
Sarah Biasini : Oui. Elle a plusieurs grand-mères. Mon père s’est remarié donc la femme de mon père, c’est aussi sa mamie… On multiplie beaucoup les sentiments chez nous ! [Elle rit.] Aujourd’hui, elle pourrait mieux comprendre, elle va avoir 3 ans en février. J’ai plein de copines qui me disent : “Alors, ça y est, tu lui as montré une photo de ta mère ? Alors, tu lui as dit ?” Attends, deux secondes ! Je commence seulement un peu. Je lui montre des photos en lui disant : “Voilà, c’est mamie, c’est la maman de maman.”
Vous lui avez donné, entre autres prénoms, celui de Rosalie, en hommage à “César et Rosalie” qui est l’un de vos films préférés...
Sarah Biasini : Oui. Mais je ne l’ai pas écrit exactement comme le film.
Vous êtes agacée qu’on ramène toujours Romy Schneider à “L’important c’est d’aimer” et à la fameuse scène de larmes face caméra ?
Sarah Biasini : Oui, je trouve ça dommage ! Je vois tout le monde gloser devant : “Oh, regardez, c’est elle qui nous parle dans cette scène !” Il y a quand même une grosse branlette intellectuelle ! C’est voyeur de la part des gens et encore plus pervers connaissant la fin de son histoire. Mais bon, je suis sa fille donc je n’ai aucun recul. Je préfère quand on passe un extrait du “Vieux fusil”, la scène où elle rencontre Philippe Noiret à La Closerie des lilas, avec sa petite voilette. Là, ils sont tellement beaux tous les deux ! Je trouve ça plus joli que de passer l’extrait de “L’important c’est d’aimer” où elle est à califourchon en larmes.
Jeune femme, vous avez connu tardivement Sautet puis Piccoli… L’actrice que vous êtes devenue ne regrette pas de ne pas avoir travaillé avec ces géants ?
Sarah Biasini : J’aime ce cinéma mais, au moment de nos entrevues, je ne leur ai posé aucune question. Je m’en veux d’ailleurs aujourd’hui. Quand j’ai fait la connaissance de Sautet, je ne pensais même pas à devenir actrice moi-même. C’étaient de beaux personnages. Piccoli, Sautet, quelle classe ! C’étaient des gens qui avaient une élégance incroyable.
Le cinéma a peu fait appel à vous depuis vos débuts. C’est un choix de privilégier le théâtre ?
Sarah Biasini : Je ne suis pas détendue devant une caméra. Peut-être que je ne devrais pas le dire, mais c’est la vérité : je ne me sens pas très libre, je me regarde faire, je m’écoute… J’ai une part de responsabilité, je ne montre pas énormément d’envie, enfin je ne vais pas chercher les projets. Je questionne d’ailleurs beaucoup mon propre désir de jouer. Encore aujourd’hui… Ce qui est sûr, c’est que je suis beaucoup plus à l’aise sur les planches.
Vous évoquez dans votre texte vos entraves, votre “auto-sabordage systématique”… Les pas dans lesquels vous marchez sont trop grands ?
Sarah Biasini : Oui, mais on apprend à faire avec. C’est la peur de mal faire, de rater. Vous répétez une pièce pendant des semaines, vous travaillez, et le moment arrive où la peur paralyse, et on trouve toujours un truc pour scier la branche sur laquelle on est assise… Mais je préfère ça plutôt que de me dire : “Tu sais quoi ? J’y vais tranquille ! Ça va hyper bien se passer !” Quelque part, c’est ça qui donne tout le sel et l’adrénaline à une scène.
En 2018, le film sur votre mère “3 jours à Quiberon” vous a scandalisée. Vous écrivez : “Le monde extérieur me renvoie l’image d’une icône au destin brisé, vouée au malheur.” C’est le décalage entre l’image qu’ont les autres et la femme que vous avez connue qui est dérangeant ?
Sarah Biasini : Oui, il y a le respect des morts aussi. Il faut faire attention. Le destin tragique, la fatalité… Comme si une telle beauté ou un tel talent ne se vivaient pas impunément… C’est sûr que, dans les faits, il y a eu des choses tellement dramatiques que c’est vraiment digne d’une tragédie grecque, je comprends, c’est vrai. On aurait voulu l’écrire, on n’aurait pas osé. En l’occurrence ce film allemand, il n’aurait pas fallu que je le voie. A partir du moment où je l’ai vu, c’était foutu. Ils parlent de toute ma famille dedans ! Et puis, c’est assez dur de se dire que c’est parce qu’elle est morte qu’ils ont pu faire ce film. Je suis intervenue pour rappeler que c’était une fiction. Parce que lorsqu’un film est annoncé comme un biopic, la plupart des gens prennent tout ce qui est à l’écran pour argent comptant. Moi la première. C’est tout le problème, même avec la série “The Crown”, il faut sans cesse se demander où commence la fiction.
Vous vous sentez écrivaine aujourd’hui ? Vous avez envie de poursuivre dans cette voie ?
Sarah Biasini : J’aimerais bien. Fiction ou pas, on verra. Je pense pouvoir jouer et écrire. J’espère. J’aimerais bien écrire un livre pour enfants aussi !
Vous avez peur pour votre métier ? Pour le cinéma, le théâtre ?
Sarah Biasini : Non, je pense qu’on finira bien par y retourner. Déjà les tournages ont repris… Mais ce qu’il faut, c’est une vraie date. Il faut qu’on arrête de dire : “Peut-être telle date” et en fait non. Parce qu’il y a toute une économie derrière et c’est dramatique : tous les investissements pour les ré-affichages, la remise en route des théâtres. Je ne sais même pas si le Festival d’Avignon aura lieu en 2021. J’aimerais bien parce que je dois y rejouer “Mademoiselle Julie”. Quand on ne peut pas exercer son métier, on n’a pas de raison sociale, on n’existe pas. C’est terrible ! Ça vaut pour n’importe quelle profession. Alors bien sûr les acteurs, les techniciens, les intermittents… Mais les restaurateurs, c’est pareil, c’est catastrophique ! Et ce n’est pas près de s’arrêter…
Karelle Fitoussi
19h36 dans Presse - 2021, Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (0)
Source : Paris-Match.com - 08 novembre 2020
En 1958, Match rencontrait pour la première fois un certain Alain Delon, compagnon de Romy Schneider. L'acteur a fêté ses 85 ans, ce dimanche 8 novembre 2020... Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.
À l’époque, il n’est encore que le «fiancé de...»
En 1958, Match accompagne Romy Schneider pour un rendez-vous chez le célèbre coiffeur Alexandre de Paris, dans son mythique salon de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Aux côtés de la jeune actrice se trouve également son partenaire à l’écran dans le film qu’elle vient tout juste d’achever. Un beau jeune homme de 23 ans, acteur lui aussi, très élégant et encore peu connu. Un certain Alain Delon, que notre magazine n'hésite pas à présenter comme son «fiancé parisien».
Son fiancé dans le film et dont on dit qu'il le sera peut-être dans la vie
En légende de la série de photos réalisée par Paul Slade et publiée dans la rubrique des «Instantanés de la semaine» du numéro 480 du 21 juin 1958, Match écrit : «Plus de natte pour Romy Schneider, la B. B. autrichienne révélée dans «Sissi». Elle vient tourner à Paris "Christine". C'est un "remake". Celui du film qui, sous le titre "Liebelei", rendit sa mère célèbre il y a vingt ans. Dès son arrivée, elle a cherché une autre coiffure pour plaire à Alain Delon, son fiancé dans le film et dont on dit qu'il le sera peut-être dans la vie»...
L’acteur réapparaîtra dans notre magazine neuf mois plus tard, pour un numéro de trapèze au Gala de l’Union. Deux semaines encore, et Match retrouvera Romy Schneider et Alain Delon pour confirmer son intuition et annoncer les fiançailles du jeune couple, sur le point d’entrer dans la légende…
Alain Delon a fêté ses 85 ans, ce dimanche 8 novembre 2020.
Clément Mathieu
11h22 dans Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (0)
Source : Paris Match.com - 03 février 2020
Il y a 40 ans, Bertrand Tavernier rendait un hommage vibrant au talent de Romy Schneider... Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.
«Tragédienne étonnante, elle ne fabrique pas l'émotion, ne la truque pas. Elle la recrée de très loin, de très profond, comme ces vagues immenses qui secouent la mer».
En 1980, Bertrand Tavernier dresse, pour Match, un portrait vibrant de Romy Schneider. Le cinéaste vient de tourner « La mort en direct » avec l’actrice. Romy, de son côté, vient d’être nommée pour le César de la meilleure actrice pour sa performance dans «Clair de femme» de Claude Sautet. «Ce jeu lyrique et ample me semble exiger des comparaisons musicales», dit encore Tavernier. «Claude Sautet parle de Mozart, à propos de Romy. Moi, j'ai envie d'évoquer Verdi ou Mahler».
À cette occasion, Romy Schneider retrouve, le temps d'une photo pour Match, l'appartement de Coco Chanel. «La terrible et séduisante Mademoiselle, rappelle alors notre magazine, avait, la première, deviné la fulgurante carrière de la jeune comédienne».
Voici le portrait de Romy Schneider par Bertrand Tavernier,
publié dans Paris Match le 1er février 1980
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Article intérieur : * Sarah Biasini : "La complicité avec Romy me manque" 8 pages |
Source : Paris Match.com du 27 février 2014
Sarah Biasini : "La complicité avec Romy me manque"
Dans un entretien sans tabou, la fille de la star livre ses doutes de jeune comédienne, ses chagrins et aussi son goût du bonheur.
Paris Match : Depuis quelques saisons, vous vous affirmez au théâtre dans des rôles forts. Après “Lettre d’une inconnue”, d’après l’oeuvre de Stefan Zweig, vous voici dans “Bash”, de Neil LaBute…
Sarah Biasini : J’y interprète deux femmes différentes, deux héroïnes de faits divers qui ont commis un crime pour lequel elles ne sont pas encore jugées. Au départ, je trouvais la pièce tellement violente que j’ai hésité à l’accepter. Mon partenaire, Benoît Solès, m’a convaincue en me parlant une heure au téléphone. Heureusement, j’arrive à m’amuser avec mes personnages “borderline” en leur apportant une bonne dose d’humour grinçant.
Paris Match : N’est-ce pas l’exposition permanente dans laquelle a vécu votre mère qui vous fait préférer la scène ?
Sarah Biasini : Je ne crois pas. Mais il faut dire qu’au théâtre on éprouve une telle montée d’adrénaline, une sensation de saut dans le vide si vertigineuse qu’il est difficile de s’en passer. Dans la vie aussi, je n’aime que les sensations fortes. Je peux être très heureuse ou très malheureuse. Très confiante ou pas du tout. Je ne suis pas vraiment tiède, et en plus, cela se voit sur mon visage. J’ai du mal à cacher ce que je ressens.
Paris Match : Vous avez été élevée à Saint-Germain en-Laye par votre père et vos grands-parents paternels, des gens dont vous êtes toujours proche… Vous leur posiez des questions sur votre mère, votre frère ?
Sarah Biasini : J’avais 4 ans et demi quand ma mère est morte, mais je n’avais pas besoin de poser de questions. Mes grands-parents m’abreuvaient de souvenirs. J’avais peur qu’ils se mettent à pleurer, mais ils arrivaient à m’en parler sans larme et j’étais fascinée par leur force morale. Leur capacité à évoquer ma mère et mon frère avec naturel était assez désarmante. C’est très délicat de parler à un enfant de gens qui ne sont plus là.
Paris Match : Il vous arrivait de regarder les films de votre mère ?
Sarah Biasini : Petite, j’ai vu tous les “Sissi”, toutes ses bluettes. Ensuite, je les ai revues un peu moins souvent, car cela devenait aussi ambigu qu’émouvant. Ce n’est pas simple de se détacher au point d’oublier qui l’on regarde. Je ne peux pas passer un flm entier à n’observer que son savoir-faire. C’est un plaisir qui peut vite se transformer en mélancolie et me rendre triste. J’ai beaucoup de mal à regarder “L’important c’est d’aimer”, qui me met mal à l'aise, et à la reconnaître dans “La passante du sans-souci”, où elle n’était plus elle-même, dévastée par la douleur d’avoir perdu mon frère et de devoir jouer avec un petit garçon. Mais elle s’était engagée à faire le flm et elle était une femme de parole.
Paris Match : Chez vos grands-parents, quel genre de petite fille étiez-vous ?
Sarah Biasini : J’étais une enfant plutôt épanouie. Curieusement, quand on perd sa mère très jeune, ce n’est pas au cours des premières années que l’on souffre le plus. Entre 5 et 15 ans, je ne ressentais pas grand-chose. J’étais très entourée et une relation mère-fille s’était établie entre ma grand-mère et moi. Le manque véritable vient beaucoup plus tard. C’est un manque différent mais plus sensible. Celui de la relation entre deux femmes. Ne jamais avoir connu cette complicité, rigoler ensemble, c’est cela qui me manque le plus.
Paris Match : En grandissant, avez-vous envisagé, à un moment, de devenir actrice ?
Sarah Biasini : Surtout pas ! Il ne fallait pas me parler de cela, à tel point que j’envoyais balader ceux qui se risquaient à me poser la question ! Je crois que, inconsciemment, je me l’interdisais. Après mon bac, j’ai étudié à la fac pour devenir restauratrice d’objets d’art. Dans ce cadre, j’ai d’ailleurs fait un stage à Florence qui m’a passionnée. En même temps, je ressentais en moi une certaine frustration. Jusqu’au jour où mon père m’a dit : “Si tu avais une baguette magique, tu ferais quoi ?” Je me suis répondu en moi-même : “Je prendrais des cours de théâtre.” J’avais 22 ans et je me suis inscrite au Lee Strasberg Theatre & Film Institute, à Los Angeles, où habitait mon oncle. J’avais réussi à ouvrir une porte que je m’obstinais jusqu’alors à laisser fermée.
Paris Match : Pourquoi être partie si loin ?
Sarah Biasini : Pour être peinarde, me donner le droit d’être mauvaise sans être montrée du doigt : “Tiens, c’est la fille de Romy !” Je voulais être libre d’apprendre.
Paris Match : Cela vous agace qu’on vous rappelle sans cesse cette filiation ?
Sarah Biasini : Oui et non, parce qu’il y a souvent beaucoup d’amour et de respect. Mais quand on a un parent disparu, on n’a pas forcément envie de tout savoir. Il arrive qu’on m’arrête dans la rue pour me dire : “Vous êtes la fille de Romy Schneider, n’est-ce pas ?” Et je réponds : “Non !” “Vous en êtes sûre ?” “Complètement sûre !” [Rires.]
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"RÉUSSIR MA VIE PRIVÉE EST LA CHOSE LA PLUS IMPORTANTE.
JE SUIS CAPABLE DE TOUT OUBLIER POUR UNE HISTOIRE D’AMOUR"
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Paris Match : Plus de trente ans après sa mort, votre mère n’en finit pas de susciter des confidences de personnes qui, pour certaines, l’ont très peu connue.
Sarah Biasini : Je m’insurge contre ce personnage fabriqué par des gens qui n’ont fait que la croiser et qui se répandent en la dépeignant comme une femme toujours malheureuse, quand ce n’est pas une nymphomane ou une alcoolique. La vie, ce n’est pas ça. Ce sont des fous rires et des pleurs. Elle a juste vécu en connaissant des joies immenses et des peines abyssales. Mes grands-parents l’ont côtoyée pendant dix ans. Chaque dimanche, à la table familiale, elle riait avec tout le monde autour du gigot avant de jouer aux cartes ou de regarder un Grand Prix de formule 1. En même temps, je sais qu’être sa fille ne me donne pas beaucoup de crédibilité pour raconter sa vérité. On dira toujours que je suis de parti pris.
Paris Match : Vous-même, avez-vous gardé des souvenirs de ces moments-là ?
Sarah Biasini : Plutôt des flashs. J’étais si petite ! Des souvenirs de jeux avec mon frère... Petite, je ressentais qu’il y avait une particularité dans ma famille, qu’on portait à ma mère une attention spéciale.
Paris Match : Votre grand-mère maternelle, l’actrice Magda Schneider, s’est-elle aussi occupée de vous ?
Sarah Biasini : Oui, mais je la voyais moins souvent. Elle vivait en Allemagne, à Berchtesgaden. On a beaucoup parlé, après la guerre, de sa proximité avec des dirigeants du régime nazi. Certains ont même affirmé qu’elle aurait été un temps la maîtresse de Hitler. N’importe quoi ! Encore un de ces fantasmes qui m’exaspèrent ! Cela dit, ma mère s’est posé des questions sur l’attitude de sa mère pendant la guerre. Cela la perturbait beaucoup. Ces questions, je me les suis posées aussi. Mais que pouvons-nous y faire ? Devons-nous porter une culpabilité qui n’est pas la nôtre ? Ce qui est sûr, c’est que, pendant la guerre, en Allemagne, il y avait deux catégories d’artistes. Ceux qui partaient et ceux qui restaient. Marlene Dietrich est partie. Ma grand-mère est restée. Ça, c’est un constat.
Paris Match : En voyant aujourd’hui la jeune femme rayonnante que vous êtes devenue, après avoir traversé les épreuves qui ont été les vôtres, on se dit en tout cas que la vie est toujours la plus forte…
Sarah Biasini : Je crois avoir un bon instinct de survie ! Quand on perd à la fois son frère et sa mère, il y a forcément un espace vide que l’on n’arrive pas à combler. Une partie de vous est attirée vers la mort, d’où une tendance à la dépression. Pendant des années, j’ai essayé de m’en sortir toute seule. Mais il y a un moment où l’on n’y arrive plus, où il faut parler à quelqu’un. Les manques sont là, il faut essayer de transcender les choses, apprendre à se remplir de ce vide, se construire sans les murs. En même temps, c’est intéressant d’avoir des singularités, ça fait de vous quelqu’un d’unique.
Paris Match : Vous avez fait une analyse ?
Sarah Biasini : Oui, pendant trois ans, et elle m’a sauvé la vie ! Elle m’a permis de mieux comprendre certaines de mes réactions. Longtemps, j’ai eu tendance à croire que les gens étaient mauvais par essence. J’étais pleine d’a priori négatifs, toujours très critique sur mes semblables. Maintenant, je suis beaucoup plus détendue et j’ai gagné en légèreté. Je suis également devenue experte en pas mal de domaines, comme le manque de mère, la dépression, le deuil d’un enfant, et j’ai pris du recul.
Paris Match : Etes-vous amoureuse ?
Sarah Biasini : Oui. Je me sens prête à avoir des enfants même si je me suis souvent demandé si ce n’est pas un acte égoïste, avec des interrogations du type : “Serais-je à la hauteur pour être une bonne mère ?” Désormais, j’ai compris qu’avant de donner la vie, il fallait se débarrasser de ses propres névroses pour ne pas les transmettre.
Paris Match : Le jour où vous deviendrez maman, pourriez-vous envisager d’arrêter le métier ?
Sarah Biasini : Réussir ma vie privée est pour moi la chose la plus importante, et je suis capable de tout oublier pour une histoire d’amour. Il est très possible que lorsque j’aurai des enfants, je mette ma carrière entre parenthèses pour me consacrer à eux. Je m’imagine très bien dans une maison, à la campagne, en train d’écrire et de faire des confitures.
Maquillage : Malka Braun. Coifure : Cyril Auchère. Stylisme : Jérôme Tiercelet. L.K.Bennett, Bally, Nao do Brasil, Patrizia Pepe, Vince Mode-B, Arthus-Bertrand, Hugo Boss, Etro.
21h52 dans Presse - 2014, Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (3)
Source : PurePeople.com - 28 février 2014
Sarah Biasini vit avec la douleur d'avoir perdu sa mère et son frère, tout en portant sur les épaules le poids de l'aura d'une icône du cinéma. La fille de Romy Schneider se dévoile comme une femme solide, répandant son charme à travers son immense sourire. Les épreuves ont fait d'elle la femme qu'elle est aujourd'hui. Actrice comme son illustre mère, elle s'épanouit notamment au théâtre, et elle sera sur les planches pour la pièce "Bash" de Neil LaBute au théâtre 14 à Paris jusqu'au 26 avril. Pour Paris Match, elle se confie, parle de Romy évidemment, mais se révèle aussi amoureuse et prête à fonder une famille.
Son père, Daniel Biasini, est le scénariste du "Mauvais Fils" de Claude Sautet. Journaliste sans attache mais attaché à sa liberté, il deviendra le confident de l'actrice pour devenir ensuite son amant, comme il l'a raconté dans les pages du magazine Gala il y a quelques mois. C'est au tour de Sarah de revenir sur son enfance, sa relation avec sa mère, le manque et qui elle est devenue aujourd'hui.
Une enfant très entourée
A 4 ans, Sarah Biasini est frappée par la mort de son demi-frère David, le fils de sa mère et de Harry Meyen. Submergée par le chagrin après le terrible accident, Romy Schneider meurt un an plus tard, en 1982. Un récit dramatique, mais la petite Sarah grandit choyée par son père et ses grands-parents. Elle est une fillette épanouie, mais c'est à partir de l'adolescence que l'absence devient de plus en plus lourde. La complicité qu'elle n'a pas eu le temps de créer avec sa mère est ce qui lui manque le plus. Ses grands-parents l'abreuvent de souvenir, ils arrivaient à parler de Romy et de David sans s'effondrer et Sarah Biasini leur en est reconnaissante.
Quant à sa grand-mère maternelle, l'actrice Magda Schneider, elle l'a voyait moins souvent, parce qu'elle vivait en Allemagne. Elle réfutera fermement la rumeur d'une relation entre elle et Hitler et, interrogée sur le passé de son aïeule et ses rapports avec l'état nazi, elle dira : "Devons-nous porter une culpabilité qui n'est pas la nôtre ? [...] Ce qui est sûr, c'est que, pendant la guerre en Allemagne, il y avait deux catégories d'artistes. Ceux qui partaient et ceux qui restaient. Marlene Dietrich est partie. Ma grand-mère est restée. Ça, c'est un constat."
Avoir la paix
Après le bac, Sarah Biasini s'interdit de devenir comédienne. Elle étudie à la fac pour être restauratrice d'objets d'art et fait un stage à Florence. Au fond d'elle, la flamme de la comédie brûle toujours, alors à 22 ans, elle décide de partir à Los Angeles pour s'inscrire au Lee Strasberg Theatre & Film Institute. Elle "s'exile" pour être "peinarde", préférant rester dans l'anonymat. D'ailleurs, il lui est déjà arrivée de mentir à un passant qui lui demander si elle était la fille de Romy Schneider, pour avoir la paix.
La paix, c'est aussi arrêter de lire des choses fausses sur sa mère. Sarah Biasini profite de cette interview pour s'insurger contre l'image de Romy Schneider véhiculée par certains. On en fait une femme malheureuse, nymphomane ou alcoolique : "Elle a juste vécu en connaissant des joies immenses et des peines abyssales", dit-elle tout simplement. Sarah, fille de légende, avoue par ailleurs avoir du mail à regarder "L'Important c'est d'aimer" - tournage durant lequel Jacques Dutronc a eu une relation avec l'actrice - ou "La Passante du sans-souci" : "Elle n'était plus elle-même, dévastée par la douleur d'avoir perdu mon frère et de devoir jouer avec un petit garçon."
Amoureuse...
Jeune femme rayonnante, Sarah Biasini a affronté seule ses épreuves, mais admet avoir aussi eu recours pendant trois ans à une analyse. Ce qu'elle veut, c'est réussir sa vie privée. Elle le clame, elle est "amoureuse" et "prête à avoir des enfants" avec comme seul impératif : se débarrasser de ses névroses pour ne pas les transmettre.
Retrouvez l'intégralité de l'interview dans le magazine
Paris Match du 27 février 2014
23h21 dans Presse - 2014, Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (0)
Source : ParisMatch.com - 26 avril 2012
Il y a trente ans, l’actrice abandonnaitla vie. Un livre hommage retrace sa carrière et des photos, parfois inédites, rendent plus cruelle son absence.
Par Arnaud Bizot - Paris Match
C’est un homme éperdu de tristesse qui, rue Barbet-de-Jouy, marche à pas lents. Hagard, Michel Piccoli pousse la porte de l’immeuble où, hier matin, un samedi de Pentecôte, le cœur de son amie a cessé de battre, à l’âge de 43 ans. Blême, tenant 43 roses rouges à la main, Jean-Claude Brialy franchit à son tour le hall d’entrée. Alain Delon s’est déjà recueilli devant le cercueil ouvert. Romy porte une longue tunique noir et rouge, au corsage brodé de fleurs. Son visage est apaisé, comme si «une main de rêve avait effacé toutes les crispations et les angoisses», dira l’acteur. Le matin du 29 mai 1982, treize ans après la sortie de «La piscine», pompiers, docteurs, médecin légiste se sont relayés dans sa chambre. Convaincu qu’il s’agit d’un arrêt cardiaque, et «soucieux de ne pas envoyer Sissi à l’institut médico-légal», le procureur n’ordonne pas d’autopsie. Sarah Biasini, la fille de l’actrice, 4 ans, se souvient de cette agitation dont elle a retenu, avec son imagination d’enfant, «l’image d’une énorme araignée» penchée sur sa mère.
Les dernières années, comme l’araignée, la vie de Romy Schneider ne tenait qu’à un fil : son fils David. «Le seul être qui lui donnait la force de continuer», dit une amie. Les hommes ? Elle a poursuivi l’ombre de ceux qui lui parlaient d’amour, guettant toujours la trahison. Le cinéma ? Jouer la bouleverse et l’épuise. «Je ne peux plus supporter le trac et l’angoisse, déclare-t-elle pendant le tournage du “Vieux fusil”. L’appel du vide, vous savez ce que c’est ? Comment peut-on vivre en perpétuel état de vertige ? » Son engagement est total. «On lui demande pour une scène un rien de sensibilité, elle offre tout le désespoir du monde», dit Pierre Granier-Deferre. La présence de David fait disparaître ses fantômes. David est aussi un compagnon d’une maturité incroyable. A 13 ans, il est sixième assistant sur le plateau de «La mort en direct». Il fait répéter des scènes à sa mère, la reprend pour corriger son accent. «Ils se parlaient comme deux adultes, c’était magnifique de les voir ensemble», se souvient Bertrand Tavernier. Un an plus tard, le 5 juillet 1981, l’adolescent décède à l’hôpital, une artère déchiquetée sur une grille qu’il escaladait chez ses grands-parents, pour ne pas les déranger.
«Mon enfant, mon enfant est mort», écrit Romy Schneider dans son journal. Jour et nuit, les amis se relaient auprès d’elle. Elle veut essayer sans David, elle va tenir dix mois. Romy Schneider est morte au combat. Avant le drame, elle a subi l’ablation du rein droit. Puis en novembre, en Allemagne, elle tourne endeuillée «La passante du sans-souci», son soixantième et dernier film, où elle joue avec un garçon du même âge que David. Parfois, tous les techniciens sont en larmes. Dans sa chambre d’hôtel, des photos de son fils, partout. Elle écoute en boucle «Le petit garçon» de Serge Reggiani. Après le tournage, repos aux Seychelles, avec son dernier compagnon et Sarah. Puis Paris, où elle erre d’un appartement à l’autre. Nouvelle coiffure, cheveux courts. «Je veux être belle, pour moi et dans ma vie privée !» dit-elle à son coiffeur dans un éclat de rire. Elle pose pour « Vogue », arrive rayonnante au rendez-vous, mais c’est une politesse du désespoir : son regard mélancolique émeut tout le monde. En avril, elle achète Les Grands Prés, une maison de village près de Paris, bordée de saules pleureurs près desquels David reposera. «Je veux être une mémé à la campagne avec ma fille, mes fruits. Vivre !» Mais elle confie le lendemain à son frère : «Je n’y arrive pas.»
La veille de son décès, coup de fil à son agent. Ils évoquent des projets. Elle félicite ensuite Costa-Gavras, Palme d’or à Cannes pour «Missing», puis lui parle d’une adaptation. Dîne avec des amis, mange peu mais plaisante. De retour rue Barbet-de-Jouy avec son compagnon, elle s’isole, comme chaque soir, munie de vin et de pilules. Elle rédige une lettre pour s’excuser de devoir reporter un rendez-vous, et la missive s’arrête sans qu’elle ait pu terminer le mot «faire». Après le «i», le stylo trace une ligne qui va se perdre en bas de page. « Pourquoi dois-je payer si cher, tout payer si cher ? La vie tape si dur », répète-t-elle. Pierre Granier-Deferre évoquait « sa générosité extravagante, celle des gens culpabilisés par on ne sait quoi ». Même en vacances, resplendissante, Romy Schneider devient soudain triste, torturée. «C’était poignant à voir», se souvient Simone Duckstein, propriétaire de l’hôtel de La Ponche, à Saint-Tropez. Sur le tournage de «L’important c’est d’aimer», le réalisateur, Andrzej Zulawski, va découvrir l’un de ses fantômes, son traumatisme de l’Allemagne. Elevée non loin de la résidence de Hitler, à Berchtesgaden, où défilent la bonne société nazie, des intellectuels, des artistes. Ses parents, comédiens, sont célèbres. Sur un film amateur*, Magda Schneider est présentée au Führer par Eva Braun. Elle figure sur la liste des artistes exonérés d’impôts. A Zulawski, Romy parle d’une mère égocentrique, soupçonnée d’être la maîtresse de Goebbels, ministre de la Propagande. Un père volage, un beau-père qui la tripote. Bien plus tard, Romy épousera un metteur en scène juif, déporté à 17 ans. Choisira David et Sarah comme prénoms pour ses enfants. Priera dans les synagogues. Sera révoltée par l’attentat rue Copernic. Tournera à bout de forces «La passante», projet qu’elle a initié, l’histoire d’une Allemande qui résiste aux nazis. Et portera au cou, jusqu’au cercueil, l’étoile de David.
La vie de Romy ne tenait qu’à un fil, seul son fils David lui donnait la force de continuer...
Son beau-père la vole aussi, allègrement. Des sommes dont la bénéficiaire, Sissi, découvrira plus tard qu’elles ont été englouties dans de sombres affaires. A 15 ans, Romy Schneider ne se voit pas valser sous une crinoline pour l’éternité. «Sissi, c’était bien gentil, mais j’étais la seule, apparemment, à savoir que je ne lui ressemblais pas !» Elle cède à sa mère pour tourner les deuxième et troisième épisodes, mais dit non pour un quatrième, malgré un cachet de 4 millions de marks. Elle a 18 ans. On la traite de folle, mûre pour l’asile. Romy a déjà entendu ce discours chez les bonnes sœurs, séchant les cours et décrivant dans son journal des fugues fictives. « Je vivrai à Paris, célèbre et aimée d’un beau garçon», écrivait-elle à 13 ans. Elle trouve d’abord Delon, 23 ans, «brusque et prétentieux». Il revient d’Algérie, la considère comme une « bourgeoise gâtée de 20 ans». En 1958, elle tourne «Christine» avec lui. Leur liaison est planétaire, insultée dans la presse allemande. Le couple vivra cinq ans ou, plutôt, survivra. La star, c’est Delon, sans cesse en tournage. Elle a besoin de stabilité. « Romy devait tout le temps sentir qu’on l’aimait, sans quoi elle pouvait aller au conflit pour provoquer la déclaration d’amour », dit Albina du Boisrouvray, son amie productrice. Elle confie sa solitude à Marlene Dietrich, qui vit à Paris et qui est, à ses yeux, l’anti-Magda Schneider. Le cinéma l’exténue, le théâtre la terrorise. En 1961, à un mois de la générale de « Dommage qu’elle soit une putain », mis en scène par Visconti et que Romy interprète avec Delon, une péritonite la conduit au bord de la tombe. Cocteau lui écrit à l’hôpital : « La France t’ordonne d’être en bonne santé. » C’est sanglée de bandages qu’elle monte sur scène et triomphe. Deux ans plus tard, en tournée en Avignon, on l’emmène se reposer en clinique. A 25 ans, sa force nerveuse s’est brisée. «Je n’ai pas de répit et je sais que je dévore ma propre vie», dit-elle. Le cinéaste Joseph Losey : «Romy ne nourrissait aucune illusion. Ses espoirs mêmes étaient désespérés.» C’est la séparation avec Delon. Un billet d’adieu posé près d’un bouquet de roses, « Je pars avec Nathalie », et une lettre de 12 pages qu’elle lit sans comprendre. Romy ne peut se résoudre à la rupture. C’est une jeune fille détruite qui traque Delon dans Paris, recouvrant son pare-brise de petits mots. Et puis un jour, elle demande à son chauffeur de tout brûler, photos et souvenirs de ce «bourgeois macho, ambitieux, qui veut avoir un jour un appartement plein de Renoir».
Telle est Romy Schneider, «tourmentée, pure, violente, orgueilleuse», selon Claude Sautet. «Depuis mon enfance, j’ai confondu la vie avec le cinéma», confie-t-elle à son journal. Violée dans une scène du « Vieux fusil » tournée sans le son, elle hurle quand même, s’arrache les ongles et ressort de là couverte de blessures. « Elle peut devenir un cheval de course incontrôlable quand on dit “moteur”, a expliqué Michel Piccoli. C’est un tel état de survoltage qu’un rien peut provoquer un court-circuit, l’accabler ou la mettre hors d’elle. Jamais apaisée, elle n’a pas conscience d’être une extraordinaire comédienne. Elle veut toujours aller plus loin, jusqu’à refaire des prises parfaites.» Piccoli est le seul qui l’apaise. Ils se comprennent dans le silence. Le scénariste Georges Conchon : « Devant une caméra, il s’agissait pour elle de dépasser Romy Schneider, de l’effacer, de l’écraser. C’était sa grande affaire : qu’on aime la petite bonne femme, la vraie derrière la star.» Ses scripts sont couverts d’annotations, elle est le personnage 24 heures sur 24. Si l’on modifie son texte, elle peut exploser. « Non, non, j’ai bossé ! Tout est là-dedans... c’est trop tard. » Elle sait qu’elle peut être insupportable. « Mon agressivité cache l’angoisse de ne pas donner le meilleur de moi-même. » Derrière la porte d’une loge de cinéma, c’est à une femme recroquevillée de peur qu’on vient parfois le demander. Toujours elle le donnera, mais ce sera pour le pire. « Dans la vie, je ne sais rien faire », juge-t-elle. Brialy : « Fière comme une amazone, fragile comme un miroir, elle ne savait pas tricher, et ses élans du cœur, violents ou contenus, l’emportaient tout entière. » Des périodes de naufrage nourries par les médicaments que Marlene Dietrich lui fait livrer, cachés dans des livres anciens. Staurodorm, Optalidon qu’elle mélange au champagne et au vin blanc. Conviant un jour quelqu’un à l’heure du thé, elle demande tout naturellement : «Vous ne voulez pas un petit Librium ?» Insomniaque, elle déambule dans Paris en attendant qu’agissent les cachets pour dormir. L’après-midi, elle en avale d’autres pour se réveiller. Sur le plateau de «L’important c’est d’aimer» – où elle joue une star tombée dans le X –, à midi elle n’est plus en état. Elle dort chez Zulawski et sa femme. Romy Schneider remporte avec ce film le César de la meilleure actrice, contre Adjani et Deneuve.
Trois ans plus tard, en 1979, «Une histoire simple », de Sautet, lui offre un second César. Le réalisateur la décrit comme l’absolu féminin. « Elle déstabilise le macho dans l’homme. En face d’elle, sur un plateau, souvent ils ne savent plus où se mettre.» Mais en prostituée, ouvrière, amoureuse ou aventurière, Romy Schneider est avant tout une femme qui magnétise : dans un restaurant où elle arrive non maquillée, personne ne la reconnaît mais, petit à petit, tous les regards convergent vers elle. Elle signe en 1973 le manifeste pour l’avortement, précisant qu’elle l’a pratiqué. Elle sera poursuivie par un tribunal de Hambourg et malmenée par la presse allemande, pour qui la voilà maintenant «putain ». Elle pose nue, indépendante, courageuse. «Mon image, je m’en fous. Je trimballe un miroir dans mon sac à main, alors ma gueule, je la connais !» A côté de ça, effrayée, vulnérable, mélancolique : «Je suis une femme très malheureuse.» « S’il y a un dieu, c’est un très mauvais dieu.» Son inquiétude majeure : se réveiller totalement vide. Sarah cherche aujourd’hui à remplir ce vide, où se mélangent souvenirs, impressions et témoignages. Elle cherche aussi à se réapproprier sa mère alors que, dit-elle, « elle appartient à tout le monde ». A recréer du lien, enfin, «avec quelqu’un que tout le monde veut et que je voudrais garder pour moi».
11h00 dans Presse - 2012, Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (0)
Source : Paris-Match.com - 20 mai 2011
La fille de Romy Schneider s’enflamme dans le rôle d’une héroïne de Stefan Zweig. Et brûle les planches du théâtre des Mathurins.
Une gamine de 13 ans tombe amoureuse de son voisin comme on chute dans un gouffre sans fin. Sa vie durant, elle idolâtrera cet homme sans jamais lui avouer sa passion. Au seuil de la mort, alors que son enfant vient de mourir, cette femme ose enfin confesser son amour fou dans une longue missive... Grâce à l’ingénieuse adaptation de Michael Stampe, cette «Lettre d’une inconnue» de Stefan Zweig devient une pièce à deux personnages. L’écrivain, interprété par Frédéric Andrau, et l’inconnue, incarnée par Sarah Biasini, sont mis en scène par Christophe Lidon. Comment, chaque soir, peut-on s’enflammer sur le bûcher d’une passion sans pour autant s’y brûler les ailes ? Voici une des questions que nous avons posées à cette belle et incandescente comédienne.
Paris Match. Aborder un personnage si douloureusement excessif, c’est comme escalader une montagne. N’avez-vous jamais eu peur de “dévisser” ?
Sarah Biasini. Non, jamais. Ce personnage est très douloureux, mais la vie est douloureuse. Ce ne sont que deux heures de ma journée ; après, je rentre chez moi. Jamais je ne tomberai dans un précipice.
Vous êtes du genre à déconnecter facilement d’un rôle...
Non seulement je déconnecte, mais je n’y pense qu’au dernier moment. Cette inconnue, je la comprends tout à fait, parce que moi, j’ai déjà aimé comme ça. La grande différence, c’est que je le dis ! Je ne suis pas du genre à rester tapie dans l’ombre.
Son amour absolu ressemble un peu à un toc. De là à dire que votre inconnue est bien toquée...
Oui, elle est folle... d’amour. Elle a décidé d’aimer cet homme jusqu’à sa mort, et elle s’y tient. Mais jamais elle ne le lui dira. Quand on vit une passion, on a vite fait de se mettre des œillères et de ne plus voir autour de soi. Et puis quoi, l’amour, ça n’est pas raisonnable !
Que pensez-vous de cette femme ?
Il y a toujours un moment où je déteste mon personnage, où elle m’énerve. Je la juge, alors qu’il ne le faut pas. Mais ce n’est qu’une étape, après ça passe.
Dès le début de la pièce, vous êtes dans la détresse. Ce ne doit pas être évident de se mettre dans un état pareil d’entrée de jeu ?
Les larmes me viennent plus facilement qu’avant, j’ai moins besoin de me tordre les boyaux. En fait, c’est une sorte de libération. Pour me mettre en condition, j’écoute de la musique, aussi bien un concerto de Bach que des artistes alternatifs comme Joan As Police Woman. J’essaie de suspendre le temps, d’être totalement disponible, détendue.
Vous avez été formée à l’Actors Studio. En appliquez-vous la méthode ?
Oui, bien sûr. Je vais chercher au fond de moi par quelles émotions passe le personnage. Je dois trouver ce que j’ai pu vivre de similaire, ou bien ce qui s’en rapproche le plus. Puis des images me viennent toutes seules. Il me suffit de les raviver chaque soir. Je me sers de tout ce qui m’est arrivé dans la journée, de bien comme de mal. Toutes ces émotions, je les recycle pour le spectacle.
N’aspirez-vous pas à jouer quelque chose de plus léger ?
Oh, que si ! Mon prochain rôle, je veux que ce soit dans une comédie. Ou bien un truc méchant... Jouer une vraie salope, ça, ça me plairait !
Et vous trouverez en vous tout le matériau nécessaire ?
Je ne parle pas d’une salope dans le sens sexuel. Une garce, plutôt. Et là, croyez-moi, je trouverai en moi-même tout ce qu’il me faut...
Alain Spira - Paris Match
Article intérieur : 4 pages Paris Match N° 1744 : 1ère partie |
02h38 dans Presse - 1982, Revue Paris Match | Lien permanent | Commentaires (0)