Source : A voir, à lire - 15 février 2023
- Réalisateur : Bertrand Tavernier
- Acteurs : Harvey Keitel, Harry Dean Stanton, Romy Schneider, Thérèse Liotard, Robbie Coltrane, Bernhard Wicki
- Genre : Drame, Science-fiction
- Nationalité : Britannique, Français, Allemand
- Distributeur : Tamasa Distribution
- Durée : 2h08
- Reprise: 15 février 2023
- Titre original : La mort en direct
- Date de sortie : 11 janvier 1980
- Festival : Festival de Berlin 1980
- Reprise en version restaurée : 15 avril 2023
Résumé : C’est l’histoire d’un homme qui a une caméra greffée dans le cerveau et filme donc tout ce qu’il regarde. C’est l’histoire d’une femme, Katherine Mortenhoe, qui s’enfuit pour "mourir libre". Voulant échapper aux médias, en l’occurrence une émission de télévision, elle ne sait pas qu’elle est aidée dans sa fuite par celui-là même qui la filme.
Critique : "La mort en direct", titre autant platonique qu’effroyable, est avant tout un film d’images : images de l’amour, du pouvoir, d’une supposée nature humaine, il entreprend un véritable marathon scénique pour dévoiler ses nombreux enjeux. Le ressortir dans une version restaurée permet de l’appréhender avec le regard neuf du numérique, qui n’existait pas encore au début des années 80, et donne à son propos une dimension pérenne, immense, intemporelle.
On dit souvent que le rire est l’une des armes les plus blessantes de l’homme. Le regard, lui, n’est pas en reste. Tavernier l’a bien compris. "La mort en direct", comme son nom l’indique, raconte l’histoire d’une existence dite condamnée, celle de Katherine, coursée par les yeux de médias assoiffés. La mort annoncée et imminente de la jeune femme, l’une des plus populaires de sa société, attise la curiosité du public. Dans ce sinistre schéma, Vincent (Harry Dean Stanton), producteur de télévision misanthrope, convainc la femme d’accepter sa proposition : quelques heures de prises de vue par jour, jusqu’à la mort, en échange d’argent. L’appât du drame appelle celui du gain. C’est avec une justesse étonnante que Bertrand Tavernier signe un film d’anticipation sur le pouvoir démesuré de la télévision, et plus particulièrement de la téléréalité, qui ne verra réellement le jour qu’une vingtaine d’années après la sortie du long métrage – Big Brother, première véritable émission du genre, est diffusée en 1999 aux États-Unis.
Si l’émission de télévision américaine cite Orwell, "La mort en direct" invoque d’abord la Rome antique et ses prisonniers de guerre contraints de faire de leur corps un outil de spectacle – condition ultime du matérialisme, et semblable à celle de l’héroïne. Tavernier y ajoute alors l’intimité, celle de protagonistes liés par le flux d’une vidéo imposée – Katherine la subit, tout autant que le journaliste Roddy (Harvey Keitel), qui dévoile aux autres sa vision personnelle du monde –, pour transmettre à son spectateur un sentiment étrange de culpabilité. Quoi de plus intime en effet que la mort, si ce n’est la naissance ? Dans une séquence judicieuse, Katherine simule un malaise en présence de Vincent. Devant le spectaculaire de la scène et la possibilité de la tragédie, l’homme panique, craignant de laisser filer son affaire, crainte qui se propage alors chez le spectateur. Le film dépasse ainsi les frontières de la fiction en faisant habillement rebondir son propos, et parvient à piéger par l’attrait du drame, du sensationnel et finalement de la déshumanisation. En ce sens, "La mort en direct" est un fort vecteur d’émotions : oui, la mort nous révulse autant qu’elle nous fascine.
Derrière ses allures évidentes de science-fiction – genre totalement inédit chez Tavernier – "La mort en direct" traite surtout d’une histoire d’amour délicate entre un bourreau et son innocente victime, et de son ancrage dans la société du spectacle. Le film n’est en rien une condamnation brutale et sommaire du voyeurisme – la morale est absente –, et surtout, il possède des images figées dans l’espace et le temps qui le rendent étranger au vieillissement – une cathédrale devenue refuge, lieu cloué par excellence. Et là réside évidemment sa plus grande force : calqué sur la société, les hommes et leurs natures, il ne possède pas de date de péremption et préfigurait l’éclosion d’une époque désormais accomplie. La puissance actuelle du numérique le souligne de manière brutale : les images sont immortelles.
Commentaires