Source : Cinématraque - 20 mai 2022
[...] Plus que le nom de l’actrice ici, c’est le nom du personnage qu’elle incarne qui attirera l’attention du grand public. Vicky Krieps prête en effet dans "Corsage" ses traits à l’impératrice Elisabeth de Bavière, plus connue sous le surnom de Sissi. Personnage emblématique des représentations historiques du septième art, évidemment grâce à Romy Schneider qui l’incarna à trois reprises devant la caméra d’Ernst Marischka, Sissi, héroïne tragique et romantique devant l’éternel, méritait bien un petit relooking modernisé comme l’ont eu en leur temps Marie-Antoinette ainsi que la moitié des reines d’Angleterre.
"Corsage" débute en décembre 1877, alors que l’impératrice s’apprête à fêter son quarantième anniversaire la veille de Noël. A quarante ans, on est déjà une vieille femme aux yeux du monde, plus encore à la fin du XIXe siècle où il s’agissait de l’espérance de vie féminine moyenne. Mais plus que le poids des ans, c’est l’usure de la vie de cour et de ses intransigeantes exigences qui épuisent Sissi. Elle dont on guette le moindre écart de poids, le moindre faux pli, la moindre variation de teint, elle n’en peut plus. Elle n’en peut plus de son mari trop occupé à faire la guerre, et de ce couple qui ne peut s’aimer. Le temps défile, faisant défiler avec lui les regrets de la mort de son premier enfant et de la santé fragile de sa petite dernière. Ce temps qui défile, on lui demande surtout de le faire oublier, et de faire tenir cet édifice de conventions qu’elle n’arrive plus à faire tenir debout.
Comme son nom l’indique "Corsage" est avant tout un film sur la charge mentale qui pèse sur les grandes femmes de l’histoire, celles qu’on a héroïsé et glorifié, celles dont les portraits et les légendes ont contribué à fortifier les canons de beauté et de bienséance qui les ont elles même oppressé toute leur vie. C’est l’histoire d’une rébellion interne qui finit par craqueler, fissurer la carapace impeccable d’une femme qui ne s’en relèvera pas. Comme beaucoup de films historiques récents ("Un peuple et son roi", "La favorite", "Mademoiselle de Joncquières", "Love and Friendship"…), "Corsage" va ausculter physiquement la laideur pernicieuse derrière le vernis propret des livres d’histoire (ou plutôt de roman national), battant en brèche l’austérité classiciste du film en costumes. Dans ces palais et ces maisons de campagne aux salons luxueux mais aux couloirs et alcôves décrépis où la moisissure ronge les murs, Sissi dépérit de ne pouvoir être autre chose que ce que l’on attend d’elle.
"Corsage" applique malheureusement trop souvent sa recette de manière un peu scolaire, au risque de tomber par moment dans la redite, le ronronnement. Ironiquement, ce film sur une cour trop corseté aurait gagné à se raffermir autour de ses fulgurances visuelles, comme autant de pulsions, de cris de liberté qui s’égarent dans le vide. Corsage n’est jamais aussi bon que quand il ausculte directement le corps contraint, engoncé de son actrice, et que la réalisatrice décide de le tordre, de le maculer de chocolat fondu, de le confronter à la psychiatrisation destructrice de la santé féminine de l’époque. "Corsage" n’est surtout jamais aussi bon que quand il laisse le champ libre à Vicky Krieps, dont l’époustouflante versatilité lui fait revêtir une multitude de féminités. Comme la Diana de Spencer, la Sissi de "Corsage" est presque le film d’un fantôme qui n’est pas encore là, la peinture d’une souffrance que personne n’entend sinon le spectateur. Un film doucement rock’n’roll, presque punk sans l’être, à l’image de sa playlist où vient se glisser, comme un écho des temps à venir, As Tears Go By.
"Corsage" de Marie Kreutzer avec Vicky Krieps, Florian Teichtmeister, Finnegan Oldfield, sortie en salles prévue le 14 décembre.
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