Source : Toute la culture.com - 08 juillet 2021
Pour cette édition du OFF, Christophe Lidon signe deux mises en scène. Nous avons vu "Mademoiselle Julie" qui nous a ravis, emportés par le jeu de Sarah Biasini qui fait sensation.
Julie séduit le valet de son père le temps de cette nuit du solstice d’été, la plus courte de l’année, ce moment unique qui délie les contraintes, exacerbe les sens et abolit les frontières sociales. À la recherche de son identité, Julie est tiraillée entre les deux éducations qu’elle a reçues : sa mère féministe, issue du peuple, lui a proposé toutes les armes d’une éducation masculine, alors que son père l’enferme dans le carcan d’une éducation féminine bourgeoise. Un sujet universel qui confère à ce texte une modernité confondante.
L’affrontement des êtres
Strindberg, auteur naturaliste, était admiré par la classe ouvrière. Il reniera toutefois très vite le socialisme pour découvrir Nietzsche avec qui il correspondra jusqu'à l’état de folie du philosophe. L’écrivain suédois explore un naturalisme qui pourchasse l’individuel plutôt que le collectif. Le drame naturaliste devient chez l’auteur un drame psychique qui consiste en une plongée au cœur de l’âme pour comprendre ce qui le constitue. Strindberg, par son intérêt pour la psychanalyse, a fait de Mademoiselle Julie un sujet morcelé revendiquant un désir erratique, et brouillon, qui lui échappe. Elle est, à l’instar de son désir, déstructurée. La pièce chez Christophe Lidon restitue ce morcellement et transforme chaque dialogue en une confrontation des égo fragilisés.
… et des talents
La mise en scène se met au service de l’intensité du jeu d’acteur, primordiale ici pour faire exploser en direct les conflits intérieurs de Julie, de Christine et de Jean. Les murs de la maison elle-même, des panneaux tels des voiles qui se portent vers un ailleurs sans retour, révélant l’empreinte des âmes, témoignent de la fragilité des faux refuges du conformisme.
On le sait, "Mademoiselle Julie" est un classique, si souvent joué. La pièce est pour la comédienne qui interprète le rôle-titre un baptême du feu. Beaucoup s’y sont brulés les ailes, peu comme Isabelle Adjani ou Fanny Ardant ont su marquer l’histoire patrimonial du rôle. La finesse du jeu de Yannis Baraban (Jean), la justesse de celui de Déborah Grall (Christine) accompagnent une incarnation de Mademoiselle Julie qui fera référence. Sarah Biasini, forte de son sourire désarmant, de ses empêchements ou de ses gauches emportements, réussit à fabriquer une Julie vraie et moderne, riche de ses morcellements. Elle nous fait entendre le texte, et le sous-texte.
Courez vite voir cette "Mademoiselle Julie" inoubliable.
Par David ROFÉ-SARFATI
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