Source : La Grande Parade - 24 janvier 2020
Les lamentations d’un riche aristocrate de Padoue qui a (presque) renoncé à marier sa fille Catarina, au caractère trempé rebutant tout prétendant, se transforment en liesse quand Petruccio, fils d’un de ses amis de Vérone, par la dot attiré, se fait fort de dominer la tigresse. De plus, le père pourra donner en mariage Bianca, sa fille cadette, la petite préférée, comme promis. Petruccio, avec la complicité de son valet, qu’il ne néglige toutefois jamais de punir, entreprend le « dressage » de Catarina, épousée à la hussarde. A coups de privation de nourriture, de sommeil, de marches forcées, il parvient à ses fins et peut exhiber l’épouse matée, au logis du beau-père. Catarina se montre plus docile que sa sœur cadette qui a, entre temps, affirmé un caractère rétif, prenant en quelque sorte le relais de l’aînée. Cette dernière prononce alors un panégyrique à la gloire des épouses soumises. Petruccio, tous les machos et les chantres d’une société patriarcale auraient-ils gagné ?
Sous le soleil d’Italie
L’adaptation de la pièce de Shakespeare par Frédérique Lazzarini, qui met en scène, a resserré l’action se déroulant initialement en cinq actes : les intrigues amoureuses sont ramenées à l’affrontement Catarina-Petruccio, soit, finalement, à l’essentiel du propos. De l’Italie du siècle de Shakespeare on se trouve transporté dans les années 1950, années phare du cinéma italien. Des bancs sont alignés devant l’écran qui projette déclarations des personnages, spots publicitaires. Nous voilà transportés à l’époque dorée du 7e art, celle à laquelle nous convie le film Cinema Paradiso. Le décor, le bel canto de Caruso, renvoient à une Italie, plus napolitaine (draps (nuptiaux) et chemises mis à sécher à l’extérieur) que padouane ou vénitienne. Tout comme la verve fleurie des personnages faisant honneur à la commedia dell’arte, au théâtre de tréteaux donné sur les places publiques. Il fallait à Shakespeare le cadre de l’Italie (il y situe nombre de ses pièces : Romeo et Juliette, Othello, Le Marchand de Venise) pour cette exubérante comédie. Le parti-pris de mise en scène, mêlant cinéma et théâtre, apporte la distance nécessaire à un texte daté confinant à la caricature. Quoique. Les temps ont-ils tant changé ? Le cinéma au théâtre (les comédiens passent de l’un à l’autre) dédouble le caractère des protagonistes, dans un jeu de mentir-vrai.
La place centrale de la femme
Un texte aussi caricatural ne cacherait-il pas un autre propos ? Catarina, la mégère, est une femme revendiquant sa liberté de choix : face à un monde fermé à cette perspective, elle oppose sa révolte, puis une soumission qu’on devine feinte. Le fait que la cadette se rebelle à son tour annonce un frémissement qui n’est pas encore tempête, mais qui, trouve répercussion plus fortement aujourd'hui. Shakespeare, dans une société où les femmes ne pouvaient pas même jouer au théâtre, a choisi de faire de Catarina la figure centrale, comme l’évoque le titre de la pièce, quand bien même il fait référence à un personnage peu sympathique. Et Frédérique Lazzarini enfonce le clou en lui donnant, par la voix de Shakespeare, puis celle de la sœur du dramaturge, le mot de la fin. Une belle réussite portée par le tourbillon burlesque soulevé par les cinq comédiens.
La mégère apprivoisée
Texte : William Shakespeare
Adaptation et mise en scène : Frédérique Lazzarini
Avec Sarah Biasini, Cédric Colas, Pierre Einaudi, Maxime Lombard, Guillaume Veyre
Dates et lieux des représentations:
Jusqu'au 11 mars 2020 à l'Artistic Théâtre (45 rue Richard Lenoir 75011 Paris - Métro : Voltaire (ligne 9) (01.43.56.38.32.)