Auteur de la bande originale des inoubliables «Les parapluies de Cherbourg» ou «Les demoiselles de Rochefort» et de dizaines d’autres films (NDLR : dont «La piscine»), amateur de jazz, le pianiste et chanteur est mort, samedi 26 janvier 2019, à l’âge de 86 ans.
Il était, depuis la disparition en 2009 de Maurice Jarre, le plus célèbre compositeur français de musique de films en activité dans le monde. Egalement arrangeur, orchestrateur, chef d’orchestre, pianiste et chanteur, Michel Legrand est mort samedi 26 janvier à l’âge de 86 ans, selon son attaché de presse, après une vie entièrement vouée à la musique, une muse qu’il aura servie avec curiosité et gourmandise en explorant les territoires du septième art et du jazz, de la variété et du easy listening – cette musique dite d’ambiance, beaucoup plus facile à écouter qu’à concevoir.
Hyperactif et excessif, Michel Legrand citait à l’envie cette phrase de Cocteau dont il avait fait sa devise : «Le tact dans l’audace, c’est de savoir jusqu'où on peut aller trop loin.» Une façon d’affirmer qu’il ne s’interdisait rien, refusant toute hiérarchie entre les genres. C’est toutefois davantage dans les salles obscures que sous le feu des projecteurs qu’il fit la plus éloquente démonstration de son art. Si son nom est indissociablement lié à celui de son partenaire de comédies musicales, le réalisateur Jacques Demy, il a laissé pour le grand écran une œuvre monumentale : plus de 150 partitions.
Avec ses contraintes qui n’étaient pas pour lui déplaire, la musique de film était le vecteur idéal pour que s’exprime l’expression du talent de ce passe-muraille. Grâce à elle, il a pu s’adonner à toutes les expériences : baroque (la musique de chambre pour deux pianos nimbée de beauté mystérieuse pour Le Messager, de Joseph Losey, en 1970) et romantisme, valse populaire et be-bop, percussions latines et violons tziganes, pop music et romances pour crooners. Avec, pour principe, de ne jamais sacrifier la mélodie, cette exigeante maîtresse à laquelle il avait juré fidélité.
Au Monde, en 2004, Michel Legrand avait raconté la naissance de sa vocation. Il assiste à une projection de La Belle Meunière (1948), de Marcel Pagnol. Schubert est interprété par Tino Rossi : «Il se promène dans la nature, lève la tête et on entend des glissandos de harpe qui descendent du ciel. Cut. On le voit ensuite chez lui composer avec une plume. Cut. Huit secondes plus tard, il dirige un concert. Je me suis dit : “Mais c’est ça que je veux faire ! Je lève le nez, j’entends des trucs, je griffonne… Sublime !»
De Schubert au jazz Né le 24 février 1932 à Paris, Michel Legrand est le fils de Raymond Legrand, un musicien autodidacte qui réalise des arrangements pour l’orchestre de Ray Ventura et de Marcelle Der Mikaëlian, sœur de Jacques Hélian – dont l’ensemble de swing sera en France le plus populaire de l’après-guerre. En 1935, le père déserte le foyer familial. Son fils ne le lui pardonnera jamais et n’aura de cesse de dépeindre son enfance comme solitaire : «Je haïssais le monde cruel des enfants comme celui des adultes.»
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Michel Legrand : «La mort n’est pas la fin. Ça change tout !» A l’âge de 10 ans, le garçon entre au Conservatoire national supérieur de Paris pour étudier le piano et la composition, auprès notamment de la légendaire Nadia Boulanger. Sa boulimie est déjà insatiable, l’adolescent assistant à une multitude de cours en «passager clandestin» et apprenant à jouer de la trompette et même du trombone à pistons. Pas un hasard qu’il s’agisse de deux cuivres. Après Schubert, un deuxième choc esthétique s’est produit : la découverte du jazz en 1948, à l’occasion d’un concert du trompettiste américain Dizzy Gillespie à Pleyel.
L’appel du large que contient le be-bop métamorphose le prodige en rebelle : il ne se présentera pas au prix de Rome, au grand dam de Nadia Boulanger, qui écrira à la mère une lettre outrée. A 20 ans, Michel Legrand choisit de gagner sa vie. Pour un musicien, le plus sûr moyen d’y parvenir à cette époque est de se tourner vers le music-hall. Le pianiste obtient son premier contrat en accompagnant Henri Salvador, avant de rejoindre en tant que directeur musical Maurice Chevalier, grâce auquel il découvre l’Amérique en 1956.
Le plus surprenant est que Legrand est déjà connu depuis quelques années de l’autre côté de l’Atlantique quand il y débarque. Jacques Canetti, personnalité incontournable de la scène française (il est patron du Théâtre des Trois-Baudets et directeur artistique de Philips), lui a offert un emploi d’orchestrateur au sein de la compagnie phonographique. Il lui confie, contre 200 dollars pour solde de tout compte, la mission de réaliser un 33-tours d’ambiance reprenant des standards consacrés à Paris, commandité par le label new-yorkais Columbia.