Source : France Dimanche - 18 mai 201778
Jean-Loup Dabadie :
"Romy passait des nuits à regarder
la photo de son fils [...] !"
Trente-cinq ans après, le scénariste Jean-Loup Dabadie revient sur la fin tragique de la star Romy Schneider.
Le 29 mai 1982, Romy Schneider rendait son dernier souffle. Jean-Loup Dabadie, très proche de l’actrice dont il avait écrit les plus beaux rôles, revient pour nous sur cette nuit d’horreur, passée en partie avec Alain Delon et Laurent Pétin, le dernier homme de la vie de la star, qui l’a retrouvée inanimée avec, à côté d’elle, un cocktail de barbituriques et de somnifères.
France Dimanche (F.D.) : Parlez-nous de cette dernière nuit avec Romy Schneider ?
Jean-Loup Dabadie (J.-L.D.) : Je dis parfois «mon amour de Romy», bien qu’il n’y ait eu, entre nous, que des histoires de cinéma entre une actrice et son scénariste. Rien d’autre. Romy était troublante. Elle voulait parfois que je modifie des scènes, des répliques, des gestes. Et, en cas de résistance, elle proférait des menaces. Elle se mettait à crier et à pleurer : «Pardon, tu penses que je ne parle pas bien le français ! Tu penses que je suis arrogante mais tu ne le dis pas ! Je ne fais plus le film !» Parfois, elle me parlait comme si nous vivions une passion torride !
F.D. : Quel a été le moment le plus compliqué de votre relation ?
J.-L.D. : Ce qui lui vaudra le César de la meilleure actrice : le scénario d’Une histoire simple ! Romy et son mari, Daniel Biasini, le père de Sarah, m’invitent à dîner chez eux, rue Pergolèse. Bel endroit, belle table, avec champagne à volonté, que notre Romy chérie avait commencé à boire sans nous, pour s’échauffer. J’ai tout de suite senti qu’elle m’attendait au coin du bois ! Romy porte une petite cuillerée de caviar à sa bouche. Son visage devient glacial et son regard prend une couleur d’acier : «On m’avait promis un film pour moi toute seule.» [Romy était à l’origine du projet, elle avait demandé à Claude Sautet et Jean-Loup Dabadie d’écrire un film «de femmes», ndlr] Je prends un air idiot et lui répond : «Écoute Romy, le mieux serait que tu ne lises plus mon scénario, et quand on aura terminé, tu donneras ton avis.» Mais elle réplique : «Et si je refuse de faire le film ?» Je rétorque : «Bien sûr, au début, on sera bouleversés. Mais après, on fera le film avec une autre actrice…»
F.D. : Comment a-t-elle réagi ?
J.-L.D. : J’ai déjà vu des femmes en colère. Mais là, la cocotte a explosé ! Elle se lève, jette sa serviette, crie, hurle, et nous laisse en plan à table. Elle part dans sa chambre en claquant la porte, des larmes plein les yeux : «Puisqu'il est interdit d’émettre la moindre réserve sur ce qu’écrit monsieur Jean-Loup Dabadie ! Tout le monde sait que monsieur Jean-Loup Dabadie décide de tout ce qui est bon dans le cinéma. Pardon, oh pardon, monsieur Jean-Loup Dabadie.» J’étais affolé. Le mari de Romy, Daniel, se lève et dit qu'il va la chercher. Évidemment, elle n’est pas revenue.
F.D. : Comment ça s’est terminé ?
J.-L.D. : Le lendemain de cette crise, notre ami et agent commun, Jean-Louis Livi, a recollé les morceaux. Il a été convenu que je ne parlerais plus à Romy jusqu'à la fin de l’écriture du scénario. Et que nous ne chercherions pas d’autre actrice. Ça s’est terminé par un happy end : Romy a obtenu le César de la meilleure actrice pour le rôle de Marie. Puis un matin, j’ai reçu un bouquet de roses et un mot de remerciements pour avoir accepté de modifier son rôle et de l’avoir écoutée. Pour moi, ces roses-là ne se faneront jamais…
F.D. : Pourquoi ?
J.-L.D. : Romy est morte peu après. Elle rentrait d’un dîner avec des amis, en compagnie du dernier homme qu’elle a aimé, Laurent Pétin. Ils ont parlé un instant dans le salon et Laurent a voulu aller dormir. Elle lui a dit : «Je te rejoins, je reste un peu avec David" [son fils décédé dans des circonstances dramatiques, ndlr]. Laurent m’a raconté la scène, en larmes : les derniers temps, il arrivait souvent à Romy de rester seule le soir au salon, voire même toute la nuit. Elle était avec la photo de son petit garçon, [...]. Elle écoutait de la musique, écrivait parfois… Elle attendait que le sommeil vienne. Cette nuit-là, elle rédigeait une lettre à un journaliste pour lui demander de remettre un rendez-vous. Mais elle est morte au beau milieu d’une phrase. Laurent l’a retrouvée sans vie, au petit jour.
F.D. : Vous étiez bouleversé…
J.-L.D. : Oui, Romy et moi avions le même âge, à trois jours près. Nous avions 43 ans… C’était une jeune femme dont les yeux avaient tant pleuré après le décès de son fils qu’ils s’étaient fermés à jamais.
F.D. : Quel souvenir gardez-vous de cette tragédie ?
J.-L.D. : Laurent Pétin m’a ouvert la porte, il pleurait toutes les larmes de son corps. Il m’a emmené alors dans le petit salon, où se trouvait Alain Delon, complètement défait. J’ai vu la photo de David que Romy avait regardée avant de mourir. Laurent, Alain et moi nous sommes embrassés. On était des hommes dévastés. Laurent m'a dit : «Va la voir, elle est dans sa chambre.» La chambre était plutôt sombre, juste un filtre de lumière passait à travers les rideaux. Sur le seuil, je n’osais pas entrer. Je regardais ma Romy, étendue sur le lit, sans vie. Après une longue hésitation, je me suis approché d’elle pour l’embrasser. Je me rappelle cette sensation… comment dire… si «inhumaine». Ses lèvres étaient glacées. J'ai dit une prière. Ce soir-là, je voyais un mort pour la première fois de ma vie, et c’était elle. C’est incroyable mais vrai : je n’avais encore jamais vu de cadavre.
Cédric Potiron