Source : Lulu a vu.com - 13 avril 2014
La scène est noire, en fond de plateau une élégante ouverture, soulignée par un pan de tenture écarlate, échancre le mur du fond, noir aussi. A l'avant du plateau la chaise Knoll, noire.
Nonchalamment assis, de noir vêtu, tenue décontractée, verre de whisky à la main, un homme jeune encore, entame un récit pathétique, celui de la mort accidentelle de sa fille de cinq mois, étouffée sous les couvertures, alors qu'il était sensé la surveiller pendant que sa jeune épouse et sa mère s'étaient absentées pour faire des courses.
Pelotonnée sur le siège, tee-shirt transparent, jean et chaussettes noires aussi, une très jeune femme, blondeur lumineuse, sourire éblouissant, évoque l'histoire de sa séduction consentante à l'âge de treize ans par son professeur . Enceinte, malgré la joie exprimée par son amant, elle sera abandonnée et élèvera seule l'enfant qu'elle mettra au monde en dépit de l'hostilité des Parents.
Sur le chemin du retour, encore dans l' ambiance , un jeune couple d'étudiants de province, raconte le bal splendide organisé par leurs paroisses, à New-York au Plazza auquel ils viennent de participer. A tour de rôle, chacun nous fait le récit de ses souvenirs émerveillés de la soirée après laquelle ils se fianceront , tout heureux d'annoncer la nouvelle à leurs parents dès leur arrivée.
Histoires banales, me dires-vous à juste titre.
C'est sans compter sur la chute que nous ménage Neil Labute dans chacun des trois récits. Deux infanticides, et un crime homophobe en concluent les fins terrifiantes
Basculements monstrueux.
Personnages attachants, sympathiques, émouvants même.
Etres "victimes" de circonstances qui les ont "contraints" à l'irréparable.
Révélation de monstres insoupçonnables.
Assassins de la pire espèce.
Ecriture dense, intense, découpée au scalpel, phrases à l'effet évocateur saisissant, ton équanime, sans facilité, sans jamais forcer la note, Neil Labute atteint à l'excellence.
Pierre Laville, traducteur de David Mammet, fin connaisseur des auteurs américains, signe une excellente adaptation.
Mais jamais ce spectacle n'atteindrait à pareille intensité sans la participation de comédiens formidables de présence et de naturel.
Toute mon admiration sans réserve pour Sarah Biasini , frêle, fraiche et vulnérable en adolescente mère- enfant, puis jeune étudiante, bécasse, minaudant, satisfaite d'elle-même , sottement enthousiaste.
Admiration partagée pour Benoit Solès, en père accablé, se consacrant avec le même engagement dans sa vie professionnelle et famiale, puis jeune étudiant, fat, imbus de sa personne, macho à la stricte éducation religieuse.
Sobre et efficace, direction d'acteurs toute en retenue et finesse de Gilbert Pascal, le metteur en scène.
Parfaitement aboutie l'adéquation du texte et des comédiens, on sort du spectacle glacés, chavirés .
Les coups sont portés en plein cœur.
Interloqués par ces confessions, notre questionnement reste sans réponse.
Un moment théâtral marquant, enfin une grande soirée.
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