Source : Le Point.fr - 08 août 2012
"L'important, c'est d'aimer" ressort en salle cette semaine. À ne pas manquer pour Romy, Zulawski et... Dutronc.
Jean-Louis Bory avait décrit L'important, c'est d'aimer comme une "nuit shakespearienne où se déchaînaient le bruit et la fureur". Bien vu, Bory! Il y a en effet du bruit, il y a en effet de la fureur d'aimer, plutôt que de vivre, dans l'adaptation du roman de Christopher Frank (La nuit américaine, rien à voir avec le film de Truffaut) qui avait remporté le prix Renaudot en 1972. Jamais ressorti - et trop rarement diffusé à la télé - malgré le gros succès critique et public qu'il avait connu à l'époque, en 1975, ce premier film français de Zulawski est devenu un petit classique et même un film-culte, en raison bien sûr de Romy Schneider, qui, pour la première fois de sa carrière, se mettait vraiment minable. "Je suis prête à en prendre plein la gueule", avait-elle dit à Zulawski, qui au départ, fraîchement arrivé de Pologne, ne voulait pas d'elle, la classant comme une actrice bourgeoise.
Zulawski y gagne ses galons de réalisateur
Elle en prit en effet, si l'on en croit les rumeurs qui affirment que le tournage avec un Zulawski adepte de la mise à cran - mais Romy en avait-elle besoin ? - ne fut pas un long fleuve tranquille. Cela commence fort. La première scène la voit jouer, le maquillage dégoulinant, une actrice porno à califourchon sur son amant mort, à qui une abominable réalisatrice demande de gueuler "Je t'aime". Pendant ce temps, un photographe (Fabio Testi) la prend en photo, malgré ses protestations : "Vous savez, je peux faire mieux, je suis une vraie actrice." Cela suffit à Testi pour tomber raide dingue, mais on le comprend. L'important, c'est d'aimer porte bien son titre, car ce film raconte au fond le trajet d'une femme qui n'arrive pas à dire "Je t'aime" dans son métier et qui finira, au bout de la nuit, à prononcer "Je t'aime" à son amant tabassé à qui elle n'a pas su, jusque-là, avouer son amour.
Jacques Dutronc et Romy Schneider : mari et femme
Zulawski est, sous ses dehors hystériques, outrés et grinçants, un grand romantique. Au départ, il ne devait que ravauder, comme il le faisait à l'époque avec les films de De Broca, le scénario de l'adaptation, mais lorsqu'il rendit sa copie, elle fut jugée si brillante et si originale qu'on lui demanda de réaliser ce film. Grand romantique, car il ausculte la possibilité de l'amour salvateur - l'amour de ce photographe qui tente de sauver l'actrice qu'il a photographiée au plus bas -, dans un monde où les personnages sont perpétuellement tirés, aspirés par le fond, leurs bas instincts, leur médiocrité, leur cynisme, leur absence d'illusion sur une vie qui n'est pas à la hauteur de leurs aspirations ou admirations... Fiction/réalité : le grand écart est douloureux et la nuit américaine - ce procédé cinématographique consistant à filmer la nuit en plein jour - en est la métaphore la plus parlante. Victime de ce décalage, le mari de Romy Schneider, poète fantôme, collectionneur de photos cocasse et désabusé, personnage qui offrit à Jacques Dutronc son premier grand rôle au cinéma.
Un capharnaüm existentiel
Dans sa biographie de Romy Schneider, Emmanuel Bonini prétend que l'actrice et le chanteur eurent une liaison. Qu'importe ! La cohabitation de Romy défaite, dévastée et de Jacques le ludion désenchanté, débouche sur un des couples les plus étonnants du cinéma français. Rajoutez là-dedans un Michel Robin en rat de bibliothèque illuminé et un Klaus Kinski en acteur shakespearien à la fois fou d'orgueil et désespéré, et vous aurez une idée du capharnaüm existentiel régnant sur ce film qui arrive pourtant à vous toucher au plus intime. Car derrière toutes ces gesticulations, on nous raconte l'amour pur et impossible d'un photographe qui tente d'aimer sans vouloir se salir les mains. Un amour transcendé par la musique tragique et comme toujours sublime de Georges Delerue, plaquée ici et là, à grand renfort de zooms avant qui sont autant d'emportements lyriques scandant le film.
Après en avoir pris plein la gueule, Romy Schneider reçut un beau trophée. L'année suivante, elle obtint le premier césar de la meilleure actrice et avec ce film, qui marque un ton nouveau dans le cinéma français, elle installa à jamais sa réputation d'actrice qui se donne à fond et aime à se faire mal.
Par François Guillaume LORRAIN
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