Source : L'express.fr - 05 novembre 2011
Les films cultes sont composés, entre autres, de scènes cultes. Retour sur "César et Rosalie" de Claude Sautet à l'occasion de l'exposition Romy Schneider qui a ouvert ses portes ce vendredi.
L'histoire
Dans "César et Rosalie" (1972), Claude Sautet raconte une histoire d'amour digne d'une cavalcade. Dès les premières images, César (Yves Montand) règle d'un pas vif et d'un bagou allègre un marché de ferraille, file au petit trot chez sa maîtresse Rosalie (Romy Schneider) dont la mère se remarie, organise tambour battant la cérémonie, transforme le cortège de voiture en rallye de compétition, anime le banquet de noces au pas de charge et chante Jean Sébastien Bach "Allegro molto con fuoco"... César mange, boit, fait l'amour et des affaires à 200 km à l'heure. C'est lui qui donne au film son mouvement perpétuel et qui entraîne Rosalie au rythme pétaradant de sa formidable vitalité. Mais un grain de sable vient faire grincer cette mécanique. David (Sami Frey), un artiste énigmatique et charmeur, surgit du passé de Rosalie. Elle quittera César pour David, puis David pour César puis César et David jusqu'au jour ou l'amour se fait amitié, tendresse, intime connivence.
Le contexte
César et Rosalie est le sixième film de Claude Sautet. Il aurait dû être un de ses premiers, mais son développement fut très long. Dès 1964, le scénario de Sautet est écrit, mais pendant huit ans, aucun producteur n'est intéressé. Même Raymond Danon, qui a produit ses deux films précédents, le refuse. C'est Michèle De Broca qui décide enfin de le produire.
On y retrouve ce qui caractérise les films de Claude Sautet : les scènes de café, les scènes de groupe, la solitude dans le groupe, la fugacité du bonheur... César et Rosalie, dont la gestation a été particulièrement douloureuse, et ce pour toute l'équipe tant l'angoisse de Sautet était grande, est finalement son film le plus gai, le plus apprécié et le plus représentatif des années 70.
La scène
Comme souvent chez Sautet, la scène se passe dans une brasserie. César et Rosalie sont attablés et engagent la conversation sur David. Face au regard attentif et au sourire calme et lumineux de Rosalie, César va perdre pied, ce à quoi il n'est pas habitué. Il croit gérer ses affaires de coeur comme ses affaires de ferrailles... Désemparé il veut couper court à cette conversation, et finit par se battre avec la motte de beurre qu'il a commandée au serveur, furieux contre lui-même. Sans effet...
Face à lui, Romy Schneider n'a jamais été si belle, émouvante et attentive. Son étonnement triste, son désarroi à peine esquissé, sont dignes d'une oeuvre d'art. Sautet disait d'elle : "Elle est altière comme un allegro de Mozart, et consciente du pouvoir de son corps et de sa sensualité. Rosalie ne supporte pas la médiocrité!"
L'analyse
Le climat est installé dès les premières secondes de la scène: la musique est discrète, la lumière chaude et tamisée, les couverts cliquetiquent légèrement.
César est très chic avec une chemise blanche taillée sur mesure. Rosalie, muette, est en amorce du champ. Dans sa mise en scène le réalisateur privilégie les dialogues et les non dits. La caméra va garder une distance stratégique par rapport aux personnages, tantôt loin tantôt proche, et devient une machine à penser. Les champs et contre-champs se transforment en affrontements au fil de la scène.
Claude Sautet a été critique musical au journal résistant Combat, il avait ainsi une vraie passion pour le jazz et pour Bach. Aussi, on comprend le rythme ici très particulier : la scène est musicale, on pourrait presque la chanter. César: "Je ne fais pas des petits dessins dans les coins moi, je gagne de l'argent, (il claque dans ses doigts), de l'argent." Rosalie : "Très chic ! Refais ce geste". A ce moment, la scène une mélodie accordée aux précipitations des sentiments.
La genèse des personnages
Claude Sautet s'est exprimé à plusieurs reprises pour expliquer ces deux personnages. "Je cherchais à l'époque pour un film sur lequel j'étais assistant, une voiture accidentée et je me suis retrouvé chez un ferrailleur local. Il y avait un type très élégant avec des chaussures noires impeccables qui est devenu César. Trois ou quatre types l'entouraient. Tandis que j'attendais, je l'ai vu monter avec une blonde dans une voiture superbe et je me souviens m'être demandé à cet instant, si je tombais amoureux de la fille, ce que je ferais avec ce type là en face de moi !"
"Jean-Loup Dabadie et Claude Néron, les scénaristes, percevaient très bien César, mais il butait sur Rosalie. A leurs yeux, c'était une emmerdeuse. Telle était leur théorie sur le personnage et il m'a fallu les convaincre que c'était plutôt elle qui était emmerdée. Pour Dabadie ce renversement a été un déclic."
Sources : Pierre Billard, Le Journal du Dimanche
Conversation avec Claude Sautet de Michel Boujut
Ciné Club Jacques Becker Pontarlier
Sautet par Sautet de Dominique Rabourdin
Analyse trés intéressante de cette magnifique scène.
Rédigé par : sandrine | 06 novembre 2011 à 01h34
Tout à fait d'accord.
Rédigé par : clô | 06 novembre 2011 à 11h42
dernier paragraphe : ilS butaiENT sur Rosalie
Rédigé par : Muriel | 24 juin 2018 à 16h27