Source : La Théâtrothèque.com - 21 février 2010
Qu'est-ce qu'on attend pour se faire la tête, qu'est-ce qu'on attend pour avoir une vie sinueuse, la vie est bête, ma soeur est une chieuse, qu'est-ce qu'on attend pour se faire la tête...
Ah la famille ! Une mise en bière gouleyante autour d'une tablée, mousseuse jusqu'au ras de la vie, la bouche suintante de propos acerbes et vils, la rancœur salivée à satiété. Postillons ad vitam post aeternam. De leur vivant, les enfants mettent leurs parents plus bas que terre. Quand père et mère décèdent, les mêmes enfants les montent aux cieux en leur jetant des louanges. Alléluia. Il en est ainsi du tableau peint par Salomé Lelouch, dressé sur le chevalet de la scène du Ciné 13 Théâtre. Le décor, les murs couverts d'un papier dépeint par les rides du temps, une table à roulettes qui convie les hôtes à ne pas y poser le coude, un jumelage de chaises et de tabourets aux essences de formica d'antan. La table, avec ses roulettes, draine une vie semée de miettes. Miettes de vie grignotées par les remords, les mensonges, les incertitudes, il n'en demeure pas moins qu'elles vont susciter débats filés à en découdre une vérité qui ne tient qu'à... plusieurs coups de sonnettes à la porte d'entrée.
Alors, qu'est-ce qu'on attend pour écouter cette famille se déchirer, se révolter, s'adorer, se révéler ? La musique un rien bruyante à vous réveiller un mort, à vous dévoiler le frère. Le frère, sans s, masculin est très singulier. Dans la vie, il n'a pas grand-chose à vaquer. Ses préoccupations, elles l'occupent à se préoccuper de ce qu'il n'a pas. L'exercice est périlleux car il requiert une grande souplesse psychologique. A propos, il s'appelle Laurent, le frère. Une sœur, avec un S majuscule, car elles sont deux, dont une qui en vaut bien deux, à moins qu'elle ne soit seule si... Fiat lux divine, pas exactement. Ludivine lui convient davantage, prénom composé de quatre consonnes et quatre voyelles. Déjà tout un programme à écrire et surtout à comprendre. Cette sœur ne porte pas le voile de l'impudeur, peut-être celui du déshonneur. A voir. L'autre sœur, avec un s minuscule, comme singulièrement pas satisfaite de sa vie, la sotte en quelque sorte. Marie, pleine de doute, bénie-nous de supporter tes railleries, tes colères, tes coups de gueule, tes... Arrête de râler, montre-toi Marie dans un jour Saint avec un grand s, synonyme de satisfaction, sourire et sérénité.
Qu'est-ce qui unit Laurent, Ludivine et Marie à se retrouver le temps d'un inventaire dans la maison familiale. Le père perdant progressivement la mémoire se retrouve placé dans une maison spécialisée. Amen, ite missa est, grand temps est venu de se partager les toiles peintes par papa parti par ici. Tableaux de famille classique vus et revus au moment de mettre au point une mécanique informe et grinçante du partage des biens des parents, humainement considérés des cédés pour compte, le compte des ayant droits Progéniture & Co et légalement pas sur les comptes du notaire. Si sous, il y a à chaparder, les dessous sentent la vilénie.
La trame de la pièce mise en scène par Salomé Lelouch raconte bien la mise en pièce des liens familiaux désactivés dans la relation frère-sœurs. Ludivine, une foutue personnalité, égoïste à se jalouser elle-même de ses propres biens, misère et décadence de la jeunesse au compte bancaire suant les intérêts. Le mensonge en crédit, taux d'intérêt très élevé pour les bassesses inavouées, le doute s'ajoute avec les agios de l'impertinence et de l'insolence. Ludivine, la fille de sa mère, mais laquelle Edith ou l'Autre enceinte au moment d'un suicide inconsciemment voulu au volant de son auto, sur les tournants tracés par la vie.
L'intrigue, un épilogue hitchcockien, qui de Marie ou de Laurent cherchera à ne pas connaitre la vérité sur le fabuleux destin de Ludivine en proie à un doute de filiation. Ludivine, elle-même peut-être refusera-t-elle de connaitre son passé pour mieux se cerner aujourd'hui.
"Qu'est-ce qu'on attend ?" est une comédie dramatique dont l'accent porte essentiellement sur les relations familiales, les histoires du passé longtemps cachées sous le couvert du mensonge, une honte qui voile le masque d'une vie dévolue à un ordinaire, celui de bien des gens ordinaires. Laurent, Marie et Ludivine, nous les avons déjà croisés ici ou là dans une conversation, au sein de notre famille, chez des amis. Ces trois comédiens apportent le témoignage d'un testament non livrable en l'état. Sujet explosif surveillé par l'œil du cyclone et non du cyclope, car qui dit partage des biens, dit bien voir les choses qui reviennent et pas toujours de droit ; surtout quand la famille file de travers.
La pièce s'écoute avec intérêt, le récit est juste, juste un peu trop longs sont certains passages qui s'avèrent ennuyeux, comme peut l'être la lecture d'un acte notarié, le mot pompeux. Le public a apprécié ce spectacle, les comédiens tout sourire ont salué la salle. Qu'est-ce qu'on attend est une création, cela tend à se raréfier sur la place du marché théâtral, alors profitons-en. La vie ne se gagne pas en jouant au loto, la famille n'est pas une cagnotte qu'on partage comme pourrait l'être un paquet de caramels mous.
Par Philippe Delhumeau
INFOS PRATIQUES
Du 24/02/2010 au 21/03/2010
Mercredi, jeudi, vendredi à 21h15, samedi à 17h30 et à 21h15.
Ciné 13 Théâtre - 1 Avenue Junot - 75018 PARIS
Métro Lamarck Caulaincourt
Réservations : 01 42 54 15 12
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