Boccace 70 : Cannes,… mai
Est-ce parce que Cannes en coquetterie nous attend avec une plage neuve ? Est-ce parce que les festivals du films se multiplient de par le monde et brandissent leur concurrence (Nicholas Ray milite ces temps-ci pour le dernier en date, le Festival de Washington) ? Est-ce enfin parce que le Palais de la Croisette, voué dit-on à une proche disparition reçoit peut-être cette année pour la dernière fois ? Toujours est-il que Cannes affiche pour son quinzième rendez-vous un programme imposant. Devant la richesse des sélections en course, la quinzaine traditionnelle comptera dix-sept jours. Les Etats-Unis présenteront trois films, l’Italie quatre, la France cabotine poussera ses quatre films nationaux et deux films « africains » représentant le Sénégal et le Congo. Les délégations, en proie à une belle frénésie, s’emploient à contourner le règlement et à faire agréer les films en surnombre.
Enfin, n’oublions pas qu’à côté de la compétition officielle, se décuplent les projections parallèles, festivals miniatures et présentations semi-privées où le clandestin souvent détrône le notoire. Une Semaine de la Critique notamment s’attachera à révéler des premiers longs métrages qui risquent bien d’être les épices d’un menu déjà chargé.
Par une belle entorse aux lois de l’hospitalité, le Festival s’est ouvert par un acte arbitraire. M. Favre Le Bret ayant trouvé que « Boccacio 70 » était trop long, ce film fleuve italien a été amputé d’un sketch, celui de Mario Monicelli, dont rien n’indique qu’il soit moins bon que les trois autres. Cannes donnant toujours la priorité aux vedettes, « on » a jugé que Fellini, Visconti et de Sica suffiraient largement à justifier un gala d’ouverture. « On » s’est trompé. « Boccacio 70 », dans l’état où il nous fut montré est le plus boiteux et le plus hybride des pots pourris.
Fellini y a certainement commis l’erreur de sa carrière […].
Visconti, heureusement, se donne la partie la plus difficile. Evoquant les tracas conjugaux d’un jeune aristocrate débauché, il commente avec un cynisme sanglant les rites agressifs de l’oisiveté qui transforment les jeunes épouses milliardaires en call-girls de leurs maris. Il raille à sa manière l’ennui spectaculaire des héros d’Antonioni, en tire un conte décadent d’une acide perversité. Sous sa férule, Romy Schneider, magnétisée, devient cette chatte langoureuse et bouleversée que Visconti tourmente, dénude et met en larmes, avec un sen aigu de l’équivoque. Hélas ! Avec de Sica, le niveau retombe bien bas […].
Pourquoi Boccace ? Pourquoi 70 ?
On ne retrouve dans ce film fragmentaire, ni l’esprit du conteur, ni la raison d’une décade curieusement anticipée. On ne retrouve pas davantage le scandale escompté par les promoteurs. Visconti mis à part, personne ici ne semble avoir tiré son épingle du jeu.
Robert BENAYOUN
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