Le combat dans l’île
Depuis des années, on souhaite voir traiter au cinéma des sujets actuels. On demande aux scénaristes d’oublier leur habituelle sources d’inspiration (l’histoire, la littérature, policière ou non, la mythologie, la guerre… vingt ans après, etc) pour s’intéresser aux questions brûlantes, aux thèmes des conversations quotidiennes, de la «une» des journaux.
Or, voici que,pour son premier film, un cinéaste, Alain Cavalier (ancien assistant de Louis Malle), enfourche, si j’ose dire, le dada le plus actuel qui soit : la renaissance de certain fascisme. Et emprunte à peu près toutes les péripéties de son action à des faits divers de première grandeur. Bazooka, complots, attentats, règlements de comptes gauche-droite, exécutions sommaires, fuites en Amérique du Sud, identités d’emprunt, jouent sur l’écran toute la gamme. Et s’efforcent de donner au spectateur l’impression que ce «Combat dans l’île» se veut, d’abord et surtout, témoignage sur quelques-unes des réalités les plus affligeantes de ces derniers mois.
Parallèlement, d’ailleurs, notre astucieux débutant n’oublie jamais de faire référence aux plus solides traditions de l’écran. Frères ennemis en politique, les deux protagonistes s’entretuent finalement pour une femme. Et l’affichage de leurs idéaux respectifs masque un antagonisme beaucoup moins désintéressé. On pourrait même, en écartant un peu les canons des mitraillettes découvrir à ce combat des parentés cornéliennes et certains parallèle, imité de l’antique honneur et le bonheur. Sans même parler de faciles rapprochements avec les premiers romans de Malraux.
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Donc, à priori, le thème de ce « Combat » était digne d’attention et de nature à combler l’attente d’un cinéma actuel. Beaucoup s’y sont laissé prendre. Au Festival de Cannes, ce printemps, on se repassait une « bonne » adresse : celle du cinéma de la rue d’Antibes où le film était projeté. Le temps me manqua pour me rendre dans l’île. Je viens donc seulement de découvrir Cavalier. Et ma surprise est aussi désagréable que grande. Car « Le combat dans l’île » pour actuel qu’il soit, me semble être surtout un film à peu près raté. Ces militants de droite ou de gauche, les uns noirs, les autres blancs, rlèvent d’un manichéisme naïf ou perfide (on ne sait trop) mais surement pas d’un observation objective sereine. Comme tout serait simple, si les bons étaient d’un seul côté ! Mais la sottise et l’intelligence, la fourberie et la sincérité se répartissent équitablement entre la gauche et la droite. Et je sais des fascistes, hélas, de tous les bords…
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De plus, au plan technique, les éloges prodiguées au réalisation me surprennent plus encore. Ce film, relativement court (1 h 40), le traîne sous les yeux. Et quand le rythme s’accélère, c’est pour sombrer dans une loufoquerie qui manque singulièrement de tout comique autre qu’involontaire. Comment le "superviseur", Louis Malle, technicien avisé, n’a-t-il pas crié casse-cou, pour maintes scènes à son disciple ? Si la plupart des épisodes ont, en effet, des correspondances dans la réalité, la manière dont on les présente me semble dépourvue de la moindre crédibilité. Je songe à l’entraînement des commandos activistes ; au comportement du syndicaliste, à l’ultime duel, beaucoup plus proche d’un «grand jeu» stupide que d’un affrontement à l’échelle humaine. Dans l’hypothèse (peu vraisemblable heureusement) où «Le combat dan l’île» serait encore projeté dans vingt ans, les spectateurs à venir auraient une vision bien déformée de nos luttes.
Tout de même, je crois devoir porter à l’actif du jeune cinéaste deux qualités. D’abord, l’audace d’un thème qui pouvait, qui peut encore, lui valoir des ennuis. Ensuite, et surtout, certain romantisme, impropre au sujet traité, mais qui demeure sympathique et fera merveille au service de meilleurs causes. Enfin, les trois protagonistes du "Combat" (JL. Trintignant, Henri Serre et surtout Romy Schneider) parviennent souvent à donner l’illusion que leurs personnages ont de l’épaisseur et de la vérité. Ce qui n’est pas un mince mérite, même s’ils contribuent ainsi à certains indulgences trop peu raisonnables.
Jean Rochereau
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