Article "Le figaro.fr" du 04 septembre 2006 - par Isabelle Nataf.
Tournage «Nous nous sommes tant haïs» Les débuts de la construction européenne au coeur de ce téléfilm réalisé par Franck Apprédéris avec Sarah Biasini. Il mêle petite et grande histoire.
Le petit garçon déboule dans l'escalier en colimaçon, un tube en plastique à la main, tout excité. Derrière lui, son grand-père tente de le calmer. Léo, le labrador blanc du directeur de production, Claude Albouze, se fraie un chemin entre les câbles. Cet immeuble désaffecté de la rue du Père-l'Ermite dans le XVIIIe arrondissement de Paris a quasiment été transformé en studio pour tourner les scènes d'intérieur de Nous nous sommes tant haïs.
Un téléfilm réalisé par Franck Apprédéris qui en a également signé le scénario avec Jean-Michel Gaillard, un peu plus d'un an avant sa mort, et produit par Dominique Antoine pour France 3*. L'histoire du début de la construction européenne mise en oeuvre par Robert Schumann et Jean Monet (interprétés par François Marthouret et Bernard-Pierre Donnadieu) cinq ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Sarah Biasini s'est assise sur une marche d'un palier en attendant que l'équipe technique ait fini de tout mettre en place. Elle réajuste une mèche de cheveux qui s'est échappée de son bibi mauve, attrape l'anse de son petit sac noir. Dans quelques instants, elle deviendra Marie et, en arrivant sur le palier de son appartement, se retrouvera face à Jürgen (Pawel Delag), un jeune Allemand avec qui elle a eu une liaison pendant la guerre. À l'époque, Jürgen était officier de la Wehrmacht et elle, fille de petits commerçants charentais. Aujourd'hui Jürgen est journaliste, envoyé d'un grand quotidien de Stuttgart pour couvrir à Paris la conférence de presse de Schumann. Par hasard dans une brasserie en compagnie de ses confrères, le jeune Allemand a retrouvé Marie. Il a appris qu'elle avait un petit garçon, Pierre (Mathis Jamet), et s'est débrouillé pour récupérer son adresse.
Franck Apprédéris, le réalisateur, n'aura besoin que de trois prises pour capturer l'émotion du face-à-face entre Marie, qui tient dans ses bras Pierre endormi, et Jürgen. Malgré le reniement de Marie par ses parents et par son frère qui ne lui ont jamais pardonné ses «saloperies» ; malgré la haine des parents de Jürgen pour les Français ; malgré les fiançailles du journaliste avec une jeune Allemande Elisabeth, on le devine immédiatement, Marie et Jürgen s'aiment encore.
Libéré des bras de Sarah Biasini, Mathis court vers son institutrice. Ses devoirs l'attendent. Pawel Delag répète son texte.
Sarah Biasini allume une cigarette. «J'avais envie de tourner un film qui se déroulait pendant la guerre et, quand Dominique Antoine est venue me proposer ce sujet, j'ai trouvé très intéressant le parallèle entre l'histoire de Marie et Pierre et la grande Histoire». Pour autant, même si Pierre, comme la très grande majorité des jeunes Allemands à cette époque, a été enrôlé dans la Wehrmacht sans qu'on lui demande son avis, l'actrice a eu du mal à comprendre l'amour entre les deux «ennemis». «Il fallait que je voie l'homme et pas l'uniforme. J'avais du mal à oublier ce que je savais», confie Sarah Biasini.
Pour écrire le scénario, Franck Apprédéris et Jean-Michel Gaillard se sont basés sur les discours politiques de l'époque et la biographie de Jean Monet, tout en s'accordant quelques libertés comme une rencontre entre ce dernier et Maurice Thorez, dirigeant du PC. Le réalisateur et la productrice auraient voulu que ce téléfilm soit diffusé au moment du référendum. «Je me suis aperçu qu'il y avait énormément de personnes qui ne savaient pas d'où venait l'Europe. D'ailleurs, pour beaucoup, le nom de Monet n'évoque, hélas, plus rien.» Mais le refus de l'Allemagne, remplacée par l'Autriche, de participer au projet – «la télévision allemande ne veut pas mêler la grande Histoire à la petite», déplore Dominique Antoine – a retardé le tournage.
* Coproduction Alchimic Productions/les productions Franco-Américain/Adi Mayer Film. Avec le soutien du ministère délégué aux Affaires européennes et de la représentation de la Commission européenne en France.
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