Article paru dans "Version Fémina" du 1er juillet 2024
Sarah Biasini à l'affiche de "La mégère apprivoisée",
la fille de Romy Schneider se livre : "Le théâtre me comble"
Avant sa rentrée théâtrale, à Paris, dans "La veuve rusée", de Goldoni, l'actrice Sarah Biasini sera au Festival d'Avignon à l'affiche de "La mégère apprivoisée", la comédie de Shakespeare, où elle tient le rôle principal. L'occasion de parler d'amour, d'émancipation féminine, d'amitié, de famille, mais aussi de littérature avec celle qui s'était illustrée comme auteure d'un émouvant récit faisant le lien entre la disparition précoce de sa mère, Romy Schneider, et sa maternité. Conversation amicale et spontanée.
Clara Géliot : Vous jouerez "La mégère apprivoisée" à Avignon. Comment avez-vous abordé ce texte ?
Sarah Biasini : Assez soupe au lait, je n'ai pas eu de difficulté à m'imprégner du mauvais caractère de Catharina. Mes partenaires l'ont vite remarqué d'ailleurs ! [Rires.] Je m'énervais facilement, mais pour des choses qui me semblaient importantes. Cela venait d'une certaine exigence, d'une impatience
Malgré tout, je ne voulais pas passer pour une emmerdeuse et j'ai fait des efforts pour changer. Bref, ils m'ont aidée à m'adoucir et à être plus diplomate. Pour cela, je leur dois beaucoup.
C.G. : Le jeu est-il meilleur moyen d'apaiser une colère ou une peine ?
S.B. : Oui, parce qu'on l'utilise à bon escient. C'est une chance d'être payée pour se dégager de sa propre tristesse en la mettant au service de celle d'un autre.
Et puis, ça a une vraie utilité, parce que, au lieu de pourrir la vie de ses amis, de son conjoint ou de sa famille, on garde sa colère pour son personnage, et, sur scène, cela devient plus sincère.
C.G. : Raconter aujourd'hui l'histoire d'un homme qui "dresse" une femme est osé...
S.B. : C'était, en effet, l'une des grandes difficultés. L'émancipation féminine étant un sujet brûlant d'actualité, il paraissait difficile –même sur un ton comique– de raconter pendant une heure et demie l'histoire d'un homme qui maltraite une femme. Il fallait donc laisser penser qu'il y avait eu un vrai coup de foudre entre eux et que, en connaissant son mauvais caractère, il cherchait à la dompter.
Mais l'intérêt était aussi de montrer que la mégère ne s'énerve pas pour rien, qu'elle est sans doute dérangée par des blessures plus profondes qui l'empêchent d'être aimable, et cette colère est le seul moyen qu'elle ait trouvé pour l'exprimer.
C.G. : Quel regard portez-vous sur l'expansion de Metoo dans la société ?
S.B. : Je pense qu'il était temps. Bien sûr, lorsque je vois des répercussions comme cette fausse liste d'acteurs agresseurs, j'ai peur de l'effet boomerang, mais, d'une manière générale, je me réjouis que l'on commence enfin à écouter les femmes, car il y a encore beaucoup de vieux réflexes archaïques inacceptables à faire disparaître. Cela passera par l'éducation : il faut apprendre à nos enfants à s'aimer, à avoir confiance en eux pour être en paix avec les autres.
En attendant, ce genre de combat ne peut malheureusement passer que par la violence. Chaque génération de femmes a combattu et gagné un peu de terrain, mais nous avons tellement de retard que si cette guerre des sexes peut faire avancer les choses, tant mieux. Et tant pis si les hommes ont un peu mal ou qu'ils s'offusquent.
C.G. : Au théâtre, y a-t-il, comme au cinéma, de nouvelles mesures pour protéger les acteurs ?
S.B. : Je l'ignore, mais la manière de procéder est, de toute façon, très différente. Au théâtre, les quatre ou cinq semaines de répétitions rendent le travail plus étiré. Etant moins pressé, le metteur en scène est souvent moins dans la violence. Serait-ce le temps donné qui rend les rapports plus doux ? Je ne sais pas. Personnellement, je n'ai pas subi d'abus et je n'ai pas été témoin de violences. J'ai eu affaire à des gens plutôt bien élevés.
C.G. : Est-ce que le théâtre vous satisfait ou aimeriez-vous faire davantage ce cinéma ?
S.B. : La caméra me fait assez peur et, les années passant, je crois que je ne saurais plus jouer devant elle. Pour que je fasse du cinéma, il faudrait vraiment que l'on me prenne par la main. Mais le théâtre me comble, car j'ai la chance que l'on me propose des projets intéressants.
C.G. : Le trac est-il un sentiment que vous connaissez ?
S.B. : Bien sûr ! Mais même si, une heure avant de monter sur scène, vous êtes malade comme un chien et que vous vous demandez pourquoi vous avez décidé de vous infliger cela, une première reste une expérience magique. Toute l'équipe est mobilisée, le public sait qu'il participe à un moment particulier. Tout le monde est fébrile, mais dans l'instant présent, dans le miracle de la création.
C.G. : Dès le 10 septembre, vous jouerez dans "La veuve rusée", de Goldini. De quoi réveiller vos racines italiennes !
S.B. : Mon père, Daniel Biasini, est franco-italien. J'adore l'Italie, sa culture et la langue, que je parle couramment. J'avoue que je ne connaissais pas cette comédie de Carlo Goldoni. "La veuve rusée", Rosaura, sera jouée par Caterina Murino, et moi, j'incarnerai sa dame de compagnie, Marionnette, qui l'aidera à choisir parmi quatre hommes, un Français, un Italien, un Anglais et un Espagnol, qui la courtisent via l'espiègle Arlequin, et la couvrent de cadeaux. C'est Giancarlo Marinelli qui a signé l'adaptation et va nous mettre en scène au Théâtre des Bouffes parisiens.
Une première reste magique. Tout le monde est fébrile, mais dans le miracle de la création.
C.G. : Et vous, que faut-il faire pour vous séduire ?
S.B. : Il faut être intelligent… et avoir beaucoup d'humour ! L'idéal est de ne pas trop parler, mais d'avoir un bon sens de l'observation et de bien choisir ce que l'on dit.
C.G. : En amitié comme en amour, baissez-vous la garde facilement ?
S.B. : Je n'ai pas vraiment de garde, juste une distance naturelle. Mais, surtout, je ne suis en recherche ni d'ami ni d'amour. J'ai le bonheur d'en avoir suffisamment et, en vieillissant, on ne cherche plus à plaire à tout le monde.
C.G. : Qu'aimez-vous faire en vacances ?
S.B. : Depuis quelque temps, pour des raisons écologiques, j'essaie de ne plus prendre l'avion. Cet été, entre deux pièces, je ne partirai donc pas loin. De toute façon, mon plaisir, en vacances, c'est de faire des siestes, allongée en croix dans l'herbe, à l'ombre d'un arbre et sous une brise, avec ma fille qui dort à moitié sur moi.
C.G. : Après avoir publié "La beauté du ciel", avez-vous envie de continuer à écrire ?
S.B. : Oui. D'ailleurs mon éditeur râle, car je suis très en retard ! [Rires.] Après le récit, je me suis attaquée à un roman. J'ai l'impression que ça me laisse plus de liberté, mais cela me terrifie aussi, car j'ai tendance à me dire : "Qui suis-je pour avoir la prétention de me lancer dans un roman ?" On verra bien si j'arrive au bout, car je suis très lente. Je peux passer des jours sur une seule page, je trouve compliqué d'être assez satisfaite pour pouvoir refermer un chapitre.
C.G. : Votre premier livre abordait le thème de la maternité. Quelle maman êtes-vous ?
S.B. : Un peu plus calme, moins angoissée qu'avant. Ma fille ayant 6 ans, je suis très contente que notre complicité se développe et que les discussions s'enrichissent. Je vois qu'elle capte tout et que l'on doit veiller à bien formuler les choses. L'amour maternel est un sentiment exceptionnel et assez fascinant.
Mais c'est aussi une grande responsabilité d'être un exemple face à un enfant qui scrute et enregistre, sans en avoir l'air, tous vos faits et gestes. Nous sommes un modèle comme nos parents l'ont été pour nous.
C.G. : Que vous ont-ils transmis que vous aimeriez donner à votre tour ?
S.B. : Le sens de l'humour. Je n'ai, hélas, pas eu assez de temps pour apprécier celui de ma mère, même si je pense qu'elle l'avait. Mais une chose est sûre, je dois à mon père la capacité de dédramatiser. Grâce à lui, j'ai une distance par rapport aux choses, une autodérision et une aptitude à dire : "Ce n'est pas grave". Pour cela, je le remercie tous les jours.
Par Clara Géliot
"La Mégère apprivoisée", de William Shakespeare, mise en scène de Frédérique Lazarini.
Du 29 juin au 21 juillet au Théâtre du Petit Louvre (Avignon).